Vie chère dans les outre-mer
Question de :
M. François Ruffin
Somme (1re circonscription) - Écologiste et Social
M. François Ruffin interroge M. le ministre d'État, ministre des outre-mer, sur la vie chère dans les outre-mer. Entre trente et quarante pour cent : c'est l'écart moyen de prix entre l'Hexagone et les outre-mer pour les produits alimentaires. Et parfois c'est bien plus : + 70 % à Saint-Pierre-et-Miquelon, + 78 % en Nouvelle-Calédonie... Un paquet de pâtes à la Martinique, 92 % plus cher. Un paquet de sucre, 96 % plus cher. Une bouteille d'huile, 73 % plus cher. Des couches pour enfants, 88 % plus cher. Du papier toilette, 100 % plus cher. Même le pack d'eau dépasse les dix euros. Voilà qui, comme le constate un rapport du Sénat, interroge sur le nombre et le rôle des intermédiaires. Sur les monopoles, surtout, un groupe de la grande distribution qui contrôle beaucoup et se gave : 34 % de marge ! M. le ministre a lui-même accusé ce groupe d'« étouffer » , M. le député le cite, d'« étouffer l'économie locale et le pouvoir d'achat ». Il a même évoqué des « pratiques économiques aux relents de colonialisme ». Les mots de M. le ministre sont forts. Mais jusqu'alors, ses actes sont faibles. Mieux, même, ou pire : ses décisions pourraient se révéler des quasi-cadeaux pour la famille propriétaire du groupe de la grande distribution et leurs collègues. En effet, que prévoit M. le ministre dans ses cartons ? Dans son projet de loi contre la vie chère ? La baisse de la TVA sur des produits essentiels. La diminution, sinon la suppression, de l'octroi de mer. Ce qui est en cause, ce sont les marges de la grande distribution. Mais M. le ministre n'y touche pas. Avec ce doute, cette immense incertitude : cette baisse de la fiscalité, quelle garantie a-t-il qu'elle sera répercutée sur les prix en magasins ? Aucune. M. le ministre n'en a aucune garantie. Et même une promesse des propriétaires du groupe et compagnie ne vaudrait rien. La solution est plus simple : que l'État mène des enquêtes sur la formation des prix, de l'eau, des pâtes, du sucre, des couches. Et que l'État fixe les prix, en accordant à chacun une marge raisonnable. C'est ainsi que l'on pratiquait, jusqu'en 1986, jusqu'à la libération des prix. Qui fut la liberté du renard dans le poulailler, aujourd'hui pillé. Il souhaite connaître ses intentions à ce sujet.
Réponse en séance, et publiée le 12 mars 2025
COÛT DE LA VIE DANS LES OUTRE-MER
Mme la présidente . La parole est à M. François Ruffin, pour exposer sa question, n° 316, relative au coût de la vie dans les outre-mer.
M. François Ruffin . L’écart moyen des prix des produits alimentaires entre l’Hexagone et les outre-mer est de 30 % à 40 %, mais il peut être bien supérieur : 70 % à Saint-Pierre-et-Miquelon ; 78 % en Nouvelle-Calédonie. À la Martinique, un paquet de pâtes coûte à peu près deux fois plus cher qu’ici. C'est la même chose pour le sucre, les couches pour enfants ou le papier toilette ; même le pack d’eau y dépasse les 10 euros !
Un rapport du Sénat le souligne : voilà qui suscite des interrogations sur le nombre et le rôle des intermédiaires et, surtout, sur les oligopoles tels que le groupe Bernard Hayot, qui contrôle beaucoup et se gave, en réalisant une marge de 34 % ! Le ministre Manuel Valls a accusé ce groupe d’« étouffer l’économie locale et le pouvoir d’achat » et n'a pas hésité à évoquer des « pratiques économiques aux relents de colonialisme ».
Ses mots sont forts mais, jusqu’à présent, ses actes et ceux du gouvernement sont faibles ! Pire, vos décisions pourraient en réalité constituer des quasi-cadeaux pour la famille Hayot et leurs collègues. En effet, qu'avez-vous dans vos cartons ? Votre projet de loi contre la vie chère dans les outre-mer prévoit, premièrement, une baisse de la TVA sur les produits essentiels et, deuxièmement, une diminution de l’octroi de mer, voire sa suppression. Alors que les marges de la grande distribution sont en cause, vous n’y touchez pas !
J'ai un doute, ou plutôt une quasi-certitude : la baisse de la fiscalité ne sera pas répercutée sur les prix dans les magasins. Vous n’avez en effet aucune garantie en la matière ! D'ailleurs, même une promesse des Hayot et compagnie ne vaudrait rien.
La solution est beaucoup plus simple : que l’État mène des enquêtes sur la formation des prix de l’eau, des pâtes, du sucre, des couches et qu'il fixe les prix en accordant à chacun une marge raisonnable. C’est ainsi que l’on pratiquait jusqu’en 1986, jusqu’à la libération des prix qui fut la liberté du renard dans le poulailler, aujourd’hui pillé.
Mme la présidente . La parole est à M. le ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Je vous prie d'excuser l'absence du ministre d'État, Manuel Valls, qui doit arriver en Nouvelle-Calédonie dans les prochaines heures. Il m'a demandé de vous répondre. Mon expérience, à l'automne dernier, de ministre chargé des outre-mer me permettra d'apporter des éléments complémentaires.
Le constat que vous faites d'un fort différentiel de prix entre l'Hexagone et les territoires ultramarins est largement partagé. Les chiffres sont éloquents : en 2022, l'écart de prix sur l'alimentaire était de 47 % à Saint-Martin, de 42 % en Guadeloupe, de 40 % en Martinique et en Guyane, de 36 % à La Réunion et de 30 % à Mayotte. Lors de votre récent déplacement dans les Antilles, vous avez pu constater que ces moyennes recouvrent des écarts de prix parfois plus grands encore. La situation est difficilement supportable pour nos compatriotes ultramarins et nous comprenons bien qu'elle alimente un sentiment d'exaspération.
Les causes de la vie chère dans les outre-mer sont nombreuses – éloignement de l'Hexagone et étroitesse des marchés, entre autres – et ce fléau est malheureusement ancien. Le ministre des outre-mer a aussi évoqué le « rôle d’étouffement de l’économie » de certains grands groupes. En ce qui me concerne, je ne citerai aucun nom.
En Martinique, à la suite du mouvement social, un protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère a été signé en octobre 2024 – j'étais sur place. Il prévoit un panel de mesures d'urgence et des efforts conjugués de l'État, de la collectivité territoriale, des transporteurs et des distributeurs pour faire baisser les prix. Il ressort du point d'étape publié à la fin du mois de janvier que la mise à zéro de l'octroi de mer sur cinquante-quatre familles de produits et la réduction des marges ont fait baisser les prix d'environ 8,5 %. C'est un premier pas en direction des objectifs fixés.
Au-delà de l'urgence, le ministre des outre-mer travaille à un plan de bataille complet et structurel qui s'attaque méthodiquement à tous les facteurs expliquant la cherté de la vie : manque de transparence, opacité des marges, partage de la chaîne de valeur, situations oligopolistiques, frais d'approche, etc.
Le gouvernement prépare un projet de loi dédié, qui reprendra certaines dispositions présentes dans les deux propositions de loi récemment examinées à l'Assemblée et au Sénat. Il se nourrira également de nombreux rapports d'experts – notamment le rapport remis à l'automne dernier au président de la République par MM. Pierre Egéa et Frédéric Monlouis-Félicité – ainsi que des propositions faites par les délégations aux outre-mer des deux assemblées. Le ministre s'est engagé à ce que le projet de loi soit présenté cet été.
Enfin, lutter contre la vie chère, c'est aussi travailler au renforcement du tissu économique local, à la promotion des entreprises et des filières dans ces territoires. Des progrès notables sont possibles ; il s'agit d'engager une véritable transformation économique des territoires. Le gouvernement, tout particulièrement le ministre, y travaille.
Je ne développerai pas davantage les explications données par le ministre d'État, que je partage totalement. Il reste encore beaucoup à faire.
Mme la présidente . La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin . Je me fais ici l'écho de l'insatisfaction que j'ai entendue en Guadeloupe et en Martinique. Le problème provient des marges de la grande distribution. Pourtant, ainsi que le souligne Aude Goussard, cofondatrice du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), c'est l'État et les collectivités qui vont se priver de recettes, non les profiteurs !
Sur qui et sur quoi agit-on ? Michel Branchi, ancien directeur de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en Martinique, nous alerte : on a cassé l’outil qui nous fournissait des données sur les marges et sur la formation des prix, autrement dit l'outil qui nous permettrait d’agir. La proposition de loi rapportée par Béatrice Bellay, députée de la Martinique, vise à ce que l'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) soit présent lors de la négociation annuelle et à ce qu’en cas d'échec, au terme d'un mois de discussions, l'État intervienne et fixe les prix sans laisser faire le marché.
Auteur : M. François Ruffin
Type de question : Question orale
Rubrique : Outre-mer
Ministère interrogé : Outre-mer
Ministère répondant : Outre-mer
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 29 avril 2025