Question écrite n° 356 :
Situation des femmes victimes de violences psychologiques

17e Législature

Question de : Mme Katiana Levavasseur
Eure (2e circonscription) - Rassemblement National

Mme Katiana Levavasseur appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le sujet des violences psychologiques faites aux femmes au sein du couple. En 2021, plus d'une femme sur quatre et un homme sur cinq déclaraient avoir subi au moins une fois depuis l'âge de 15 ans des violences psychologiques au sein du couple (« par partenaire »). Encore trop de femmes, mais aussi d'hommes, subissent un véritable enfermement psychologique de la part de leur conjoint, qui, dans l'hyper-contrôle, peut aller jusqu'à régenter chaque aspect, chaque minute, de la vie de la victime. Aussi, si la lutte contre les violences, notamment celles faites aux femmes, est une préoccupation majeure qui mobilise depuis plusieurs années associations et services de l'État et que des avancées significatives ont été accomplies sur ce sujet, il faut reconnaître que certaines lacunes persistent dans le traitement judiciaire des violences, en particulier en ce qui concerne les violences psychologiques au sein du couple. En effet, bien que la loi du 9 juillet 2010 ait introduit un nouveau délit de violences psychologiques, notamment au travers de l'article 222-14-3 du code pénal, qui dispose que ces violences « sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques » et de l'article 222-33-2-1 du code pénal, qui donne une définition relativement précise du harcèlement moral au sein du couple, ces violences restent insuffisamment prises en compte dans le cadre judiciaire. Et pour cause, ces formes de harcèlements, de violences, d'atteintes à l'intégrité d'une personne restent difficilement appréhendables dans les faits. Cette difficulté complique la tâche des experts et des magistrats, qui peinent parfois à qualifier et à sanctionner de telles violences. Il est impératif d'accroître encore la sensibilisation des magistrats, mais aussi des forces de l'ordre, à la question des violences psychologiques au sein du couple, ces violences étant des violences comme les autres, même si elles ne marquent pas. D'autant que, on le sait, les violences psychologiques, dans de nombreux cas, précèdent les violences physiques. Beaucoup de femmes quittent ainsi le domicile conjugal pour fuir des cris, des insultes, des menaces. Il est alors essentiel de faciliter l'accès à un hébergement sécurisé pour ces victimes. Est alors soulevée une autre difficulté : celle des places d'hébergement d'urgence. Effectivement, les places d'hébergement dédiées aux femmes ayant subi ou subissant des violences sont rares et de nombreuses femmes éprouvent des difficultés à rester, plus de quelques jours, dans ces centres, du fait d'une forte affluence vers ces structures. De plus, ces centres manquent cruellement de psychologues, pourtant essentiels dans la reconstruction des femmes ayant souffert de ces violences, celles-ci pouvant développer des psychotraumatismes nécessitant une prise en charge rapide. La prise en charge se limite parfois trop souvent au seul volet médical. Il est nécessaire de renforcer les dispositifs d'accompagnement en santé mentale dans ces centres pour assurer une prise en charge psychologique immédiate et à long terme pour toutes les victimes. Mme la députée souhaiterait donc savoir si le Gouvernement entend prendre des mesures supplémentaires pour renforcer encore davantage les moyens alloués à la lutte contre les violences psychologiques, notamment celles commises au sein du couple. De même, elle l'exhorte à inciter les magistrats et les forces de l'ordre à améliorer le traitement judiciaire de ces violences et la prise en charge des victimes. Il en va de la sécurité et de la dignité de nombreuses femmes et de nombreux hommes, qui endurent chaque jour des souffrances invisibles mais tout aussi réelles. Elle souhaite connaître sa position sur le sujet.

Réponse publiée le 26 août 2025

La lutte contre les violences conjugales est une priorité d'action du Gouvernement. Le Grenelle des violences conjugales de 2019 a joué un rôle d'accélérateur dans l'appréhension de la politique publique et de la politique pénale de lutte contre les violences au sein du couple. Il a favorisé une action interministérielle qui a permis d'accroître l'effet des mesures adoptées. 54 mesures constituant des priorités en termes de lutte contre les violences conjugales ont été définies à un niveau interministériel, dont 21 mesures concernant plus particulièrement le ministère de la Justice. C'est dans ce contexte que l'ensemble des mesures législatives annoncées par le Gouvernement a été adopté et que 6 réformes législatives ont vu le jour entre 2017 et 2023. Deux lois importantes ont notamment été votées : la loi du 28 décembre 2019 et la loi du 30 juillet 2020, qui ont permis des avancées majeures. La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a assoupli les conditions d'octroi du téléphone grave danger. Elle a généralisé le bracelet anti-rapprochement à tous les stades de la procédure pénale et dans le cadre de l'ordonnance de protection prononcée par le juge aux affaires familiales. Elle a enfin introduit la faculté pour le juge pénal de prononcer le retrait de l'exercice de l'autorité parentale ainsi que sa suspension de plein droit en cas de poursuite ou de condamnation pour un crime commis sur l'autre parent. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a offert la possibilité pour les professionnels de santé de signaler les violences conjugales sans accord de la victime et permis dès le stade de l'enquête la saisie, d'office ou sur instruction du procureur, des armes détenues par la personne mise en cause pour des faits de violences. Elle a notamment introduit à l'article 222-33-1 al 3 du code de procédure pénale l'aggravation du harcèlement au sein du couple lorsqu'il a conduit la victime à se suicider, a créé une nouvelle infraction pénalisant les comportements d'espionnage au sein du couple (par géolocalisation du téléphone) et a donné aux juridictions de jugement la possibilité de prononcer l'interdiction de contact ou de paraitre à titre de peine complémentaire. Il s'agit là d'une évolution destinée à renforcer la prise en compte de l'aspect psychologique des violences conjugales, déjà très ancrée dans l'arsenal législatif et l'appréhension jurisprudentielle des violences. Les mesures à droit constant ont également nécessité une forte implication du ministère de la Justice. Ainsi, 6 circulaires et 8 dépêches ont été diffusées depuis la circulaire du 9 mai 2019 qui fixe les grandes orientations en matière de lutte contre les violences conjugales : protection et accompagnement de la victime à tous les stades de la procédure, politique de juridiction en faveur du décloisonnement des acteurs, évaluation du danger et suivi renforcé des auteurs de violence conjugales. Une dépêche de présentation de l'ensemble des préconisations faites au cours des dernières années a été diffusée le 24 septembre 2021 dans un document unique, à vocation pratique. Enfin, dans la continuité de l'ensemble de ces mesures, les services du Premier ministre ont diffusé, le 8 mars 2023, le plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027) intitulé « Toutes et tous égaux » dont le premier des quatre axes continue de viser la lutte contre les violences faites aux femmes. De nouvelles mesures ont ainsi été programmées afin de poursuivre les objectifs stratégiques consistant à mieux traiter les violences conjugales et leurs spécificités et à sanctionner les auteurs de violences intrafamiliales de manière plus effective, notamment avec la mise en place de pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein de chaque juridiction et l'instauration d'une ordonnance de protection immédiate dans les 24h au bénéfice de la victime de violences conjugales et ses enfants. Ces mesures ont été suivies d'effets puisque le décret du 23 novembre 2023 a institué, à compter du 1er janvier 2024, des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel, et que la loi du 13 juin 2024 a renforcé l'ordonnance de protection et créé l'ordonnance provisoire de protection immédiate. L'une des mesures programmées, pilotée par le ministère de la Santé et de la Prévention, vise à doter chaque département d'une structure médico-sociale de prise en charge globale des femmes victimes de tous types de violences, adossée à un centre hospitalier. Il existe à ce jour 99 Maisons des femmes situées dans 80 départements. Ces structures sont essentielles pour proposer à chaque victime un espace sécurisé de recueil de sa parole, d'accompagnement psychologique et juridique, d'information et d'orientation vers les professionnels, en ce compris les psychologues. Il est prévu que d'ici fin 2025, chaque département soit doté d'une maison des femmes. S'agissant de la sensibilisation des magistrats, lors de la période de scolarité en formation initiale, le thème des violences faites aux femmes est depuis plusieurs années abordé de manière globale, c'est-à-dire tant dans ses aspects historiques, sociologiques que psychologiques, dans le cadre de diverses séquences proposées par les pôles transversaux que dans ses aspects techniques dans le cadre des enseignements fonctionnels. Il fait aussi l'objet d'ateliers interfonctionnels, l'un consacré au traitement des violences conjugales dans leurs volets pénal et civil, co-animée par des parquetiers et des juges aux affaires familiales (qui permet de travailler l'ordonnance de protection et de faire des rappels sur la direction d'enquête pénale en cas de manquement à cette mesure, dans le cadre de cas pratiques), l'autre relatif à la prise en charge des auteurs de violences intrafamiliales tout au long du parcours pénal, de l'enquête à l'aménagement de peine. Par ailleurs, les répercussions constatées chez les victimes de violences conjugales sont abordées à l'occasion des conférences portant sur le psycho-trauma et l'introduction à la psychopathologie. En formation continue, l'école nationale de la magistrature s'attache depuis plusieurs années à former les magistrats en poste à la spécificité des mécanismes des violences faites aux femmes et aux réflexes professionnels à acquérir pour y répondre. Elle organise ainsi deux sessions de formation continue nationale spécifiquement dédiées aux violences dans le couple, chacune d'elles offrant annuellement presque 200 places aux magistrats, aux attachés de justice ainsi qu'à leurs partenaires. Cette thématique est également traitée dans le cadre de nombreuses autres sessions, afin de toucher un maximum de magistrats, quelles que soient leurs fonctions. Le nombre de places offertes au sein de ces sessions est en constante augmentation pour répondre aux besoins de l'institution. Un kit pédagogique numérique « Violence au sein du couple : adapter sa pratique professionnelle » a été élaboré par l'ENM en partenariat avec la direction des affaires criminelles et des grâces, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et Isabelle ROME, alors Haute fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes du Ministère de la Justice. Il a été revu et remanié en 2021. Afin d'accompagner la politique publique sur ce sujet et la création des pôles violences intrafamiliales en juridiction, a en outre été créé en 2024 un nouveau parcours de formation : le cycle approfondi sur le phénomène des violences intra-familiales (CAVIF). En 2025, pour accompagner les dispositions réglementaires relatives à la formation continue des attachés de justice, le nombre de places offertes au sein des sessions consacrées aux violences intrafamiliales sera revu à la hausse au regard de leur implication dans ces contentieux en juridiction. S'agissant des forces de sécurité intérieures, afin d'améliorer le recueil de la parole et la préservation des preuves, des trames d'audition détaillées ont été insérées dans les logiciels police et gendarmerie (LRPPN/LRPGN). Ces trames énoncent des questions susceptibles d'être posées à la victime, de façon circonstanciée, sur l'ensemble des formes de violences susceptibles de la concerner au sein de son couple : violences physiques, psychologiques, verbales, économiques, violences sexuelles. L'audition ne se trouve ainsi plus limitée au recueil des seuls éléments spontanément livrés par la victime, qui peuvent parfois se limiter à un pan restreint des violences réellement subies. Le ministère de la justice est pleinement investi dans les discussions en cours au Parlement autour de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants qui permettra notamment d'introduire la notion de contrôle coercitif développée par la jurisprudence et visant notamment à mieux appréhender les violences psychologiques.

Données clés

Auteur : Mme Katiana Levavasseur

Type de question : Question écrite

Rubrique : Femmes

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 26 août 2025

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