Appels préfectoraux systématiques et surcharge des magistrats
Question de :
M. Hadrien Clouet
Haute-Garonne (1re circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Hadrien Clouet interroge M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les effectifs et le temps de travail de magistrats ponctionné par les appels abusifs, car systématiques, des préfets contre toute remise en liberté d'une personne retenue en centre de rétention administrative (CRA). En octobre 2024, le gouvernement Barnier envisageait une énième loi immigration devant porter à 210 jours le temps maximal de détention d'un étranger en situation dite irrégulière en CRA, contre 90 jours dans l'état actuel du droit. Une telle orientation a pris la forme intermédiaire de la circulaire de novembre 2024 du ministre de l'intérieur, ordonnant aux préfets de « systématiquement faire appel » contre la remise en liberté d'une personne étrangère sur décision d'un magistrat. Ce faisant, l'exécutif prend une position strictement hostile et contraire au corps des magistrats, dont il conteste la compétence et l'appréciation en matière de libertés publiques et individuelles. Il engage une politique juridique strictement fondée sur le statut national, visant à contrarier l'accès et l'exercice du droit des personnes étrangères. En conséquence, les magistrats dilapident une quantité d'heures effroyable par semaine à traiter les recours préfectoraux contre les décisions de leurs collègues. Bilan : les magistrats voient les affaires judiciaires s'accumuler plus vite qu'ils ne peuvent les traiter, les étrangers connaissent un acharnement extraordinaire sur ordre de l'exécutif et les usagers des tribunaux connaissent un accroissement du temps d'attente avant traitement des affaires. À Toulouse, par exemple, quatre magistrats perdent désormais un jour par semaine à examiner les recours préfectoraux, pour les écarter dans la grande majorité des cas. Si les magistrats disposent d'un pouvoir d'appréciation de la conformité légale des rétentions et de l'aptitude des personnes à la supporter, c'est que les CRA sont des espaces de traitement inhumain. En 1981, la durée maximale de rétention était de 7 jours ; elle atteint aujourd'hui les trois mois. On y observe de nombreuses atteintes à la dignité : surpopulation, entassement des retenus dans les « chambres », discours racistes, nourriture rationnée, températures inadaptées, lumière allumée en continu, perte des repères temporels, difficile accès au soin ou à un médecin, etc. Ces mauvais traitements structurels, que l'on retrouve dans le centre de Cornebarrieu en dépit des efforts du personnel d'assurer une dignité minimale aux retenus, ont pour conséquences des séquelles psychologiques et sanitaires graves. Si aucun acte ne justifie une maltraitance de retenus, il faut rappeler que la majorité des personnes en rétention n'ont commis aucun acte de délinquance, mais y sont regroupées pour un simple défaut de titre de séjour. D'autant que cette politique de rétention est un échec évident. Si leur rétention est validée en droit, les retenus en CRA peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Celles-ci connaissent un faible taux d'exécution, qui vient acter une inflation absurde qui relève de la plus pure communication politique. Un faible taux de ces OQTF sont exécutées, car la masse de délivrances conduit à un nombre exorbitant d'erreurs, souligné par le rapport de janvier 2024 de la Cour des comptes, pointant des « OQTF à des personnes insérées dans la société », voire à des ressortissants de pays en guerre - qui par définition ne peuvent être renvoyés. Mal rédigées, les OQTF sont souvent annulées (près de 20 % par les tribunaux administratifs). À côté des OQTF illégales et donc non-appliquées de ce fait, le démantèlement de la diplomatie française, l'alignement de Paris sur Washington et l'arrogance impériale du Président de la République depuis 2017 ont dégradé les relations de la France avec nombre de partenaires. Or, sans document d'identité valable, le pays vers lequel est expulsé l'individu ne l'admet que via un laissez-passer consulaire qu'il remet à sa propre appréciation. Enfermer et déshumaniser des êtres humains dans des CRA, au prétexte d'un titre de séjour manquant, n'a donc aucun effet sur le taux d'exécution des OQTF, mais abîme le système judiciaire. Augmenter le temps maximal en rétention ne convaincra pas non plus les gouvernements étrangers de délivrer davantage de laissez-passer consulaires et n'a pour seule conséquence que la dégradation des conditions de santé des personnes retenues. Il faut donc en finir avec l'internement abusif de personnes étrangères et la monopolisation des moyens judiciaires pour nier leurs droits fondamentaux ou s'acharner sur leurs libertés, alors que les magistrats aspirent à dégager du temps pour traiter les litiges de la fonction publique, de l'environnement, de l'urbanisme ou de la fiscalité. Aussi, il lui demande le volume horaire consacré par les magistrats au traitement des recours systématiques préfectoraux contre la remise en liberté de personnes retenues au CRA ; dit autrement, le nombre d'ETP de magistrats qui seraient libérés par la fin de ces recours systématiques et le respect du droit des individus libérés.
Auteur : M. Hadrien Clouet
Type de question : Question écrite
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date :
Question publiée le 4 février 2025