Opération 100 % des contrôles à l'aéroport de Cayenne
Question de :
M. Davy Rimane
Guyane (2e circonscription) - Gauche Démocrate et Républicaine
M. Davy Rimane appelle l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur le dispositif « 100 % contrôle » mis en œuvre à l'aéroport Félix Éboué de Cayenne. Bien qu'il s'inscrive dans la lutte nécessaire contre le trafic de stupéfiants, ce dispositif soulève de nombreuses interrogations et suscite un malaise croissant. Ce mécanisme, régulièrement vanté pour ses résultats en matière de saisies de stupéfiants et d'interpellations de passeurs à destination de la France hexagonale, est cependant perçu négativement par une partie de la population. D'une part, sa base juridique pose question. Fondé sur les pouvoirs de police administrative du préfet aux abords de la zone aéroportuaire, le dispositif semble parfois flirter avec les prérogatives de la police judiciaire, brouillant la frontière entre ces deux domaines. D'autre part, sa mise en œuvre laisse planer un sentiment de ciblage discriminatoire. À titre d'exemple, le 4 février 2023, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a annulé un arrêté préfectoral d'interdiction d'embarquer, jugé injustifié. Dans ce cas précis, la personne ciblée ne remplissait aucun des critères définis pour justifier une telle mesure. Si ce type de décision est rare, cela semble moins tenir à la légalité des arrêtés qu'au fait que peu de passagers concernés engagent des recours. Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'elle conduit régulièrement des voyageurs innocents à être injustement suspectés de transporter des stupéfiants. Ces contrôles approfondis, qui les isolent des autres passagers, sont souvent vécus comme humiliants. Par ailleurs, les conséquences peuvent être lourdes : impossibilité de prendre leur vol, soit à cause de la durée excessive des contrôles, soit en raison d'un arrêté préfectoral d'interdiction d'embarquer. Dans un contexte où les populations guyanaises se sentent déjà stigmatisées - notamment après des mesures discriminatoires vécues durant la crise sanitaire - ce dispositif, mal calibré et générateur d'effets indésirables, renforce leur sentiment d'injustice. Il lui demande donc des précisions sur le fondement juridique du dispositif « 100 % contrôle » à l'aéroport de Cayenne. Il souhaite également savoir quelles mesures pourraient être envisagées pour corriger les dysfonctionnements de ce dispositif et garantir qu'il ne porte plus atteinte, de manière injustifiée, à la liberté d'aller et venir de voyageurs respectueux des lois.
Réponse publiée le 29 avril 2025
La Guyane occupe une position stratégique dans le trafic international de cocaïne, en tant que point de transit et de rebond, entre les zones de production d'Amérique latine et l'Europe. Cette situation découle de son positionnement géographique particulier, marqué par une frontière naturelle difficile à contrôler avec le Suriname, la présence d'un aéroport international et la facilité d'accès à l'Europe. Le phénomène dit des « mules », observé initialement à l'aéroport Félix Eboué de Cayenne, a conduit à l'instauration du dispositif « 100 % contrôle » depuis octobre 2022. Il est complété par une procédure administrative de refoulement de l'aéroport sous la forme d'arrêtés d'interdiction d'embarquer pour les personnes présentant une forte probabilité de participation au trafic de stupéfiants à destination de l'Hexagone. Ces contrôles sont sans préjudice, d'une part, des retenues douanières ou des procédures judiciaires, sous l'autorité du procureur de la République, qui peuvent être engagées sur initiative par les services compétents, et d'autre part, des procédures administratives de refus d'admission sur le territoire national que le service territorial de la police aux frontières (STPAF) diligente de manière régulière au débarquement des vols en provenance de Paris, à la porte de l'avion, afin de vérifier les conditions d'entrée des ressortissants étrangers sur le territoire national. Ce dispositif, désormais étendu à l'aéroport de Martinique depuis et vers la métropole, témoigne d'un choix des autorités compétentes de compléter l'arsenal pénal et les capacités des services concernés, exposés volontairement à un risque de saturation par les trafiquants, avec un traitement administratif des trafics de stupéfiants par l'intermédiaire d'arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement dans les aéronefs, à titre conservatoire. Les arrêtés préfectoraux trouvent leur fondement dans le pouvoir de police générale du préfet et sont soumis au contrôle du juge administratif. Le préfet de département, représentant de l'État, a la charge de l'ordre public et de la sécurité des populations en vertu de l'article 34 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 et de l'article 11 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 sur le fondement duquel le Conseil d'État a jugé que ces dispositions caractérisaient le pouvoir de police générale du Préfet. Par ailleurs, s'agissant spécifiquement des aérodromes, l'article L. 6332-2 du code des transports prévoit que la police des aérodromes et des installations aéronautique est assurée par le préfet de département qui dispose bien, dans ce contexte, des pouvoirs spéciaux de police administrative. Or, cet article définit cette police spéciale des aérodromes comme conférant au préfet un pouvoir de police générale dans les emprises des aérodromes. La prévention des atteintes à l'ordre public, en l'occurrence dans les emprises des aérodromes, appliquée de manière nécessaire, proportionnée et temporaire, telle qu'elle découle des circonstances de temps et de lieu, est compatible avec le respect des libertés individuelles, notamment la liberté d'aller et venir, dont le Conseil constitutionnel, dans une décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, a considéré que celle-ci doit être conciliée avec la sécurité des personnes et des biens. La mesure temporaire d'interdiction d'embarquement, d'une durée de 5 jours, apparaît proportionnée à la finalité poursuivie, en ce que ce laps de temps de 5 jours est le temps nécessaire à l'évacuation des gélules de cocaïne ingérées. Cette durée peut être portée à 10 jours pour des individus qui se présentent de manière réitérée aux contrôles, mais les services préfectoraux n'y ont plus recours que très rarement. Depuis la mise en place de l'opération 100 %, le nombre d'arrêtés portant interdiction d'embarquer est en nette baisse (9 700 arrêtés préfectoraux en 2023, 4 193 en 2024, 628 depuis début 2025) à l'instar des « no-shows » de personnes ne se présentant pas à l'embarquement (10 770 en 2023, 6 831 en 2024). A l'aéroport Félix Eboué, la préfecture de Guyane adapte constamment le dispositif à la physionomie des flux et aux tentatives de contournement de la part des trafiquants (extension du contrôle sur le parking de l'aéroport). Depuis 2022, 46 recours en référés et recours au fond ont été engagés, devant la juridiction guyanaise, contre les arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquer : 30 référés-libertés conduisant à 14 décisions favorables et 16 défavorables à la préfecture ; 16 recours au fond, dont 16 affaires enregistrées, 6 affaires jugées, toutes favorables à la préfecture. La mesure d'interdiction de monter à bord pour les personnes sur lesquelles pesaient de forts indices de participation à un trafic de stupéfiants a été considérée comme adaptée dès lors qu'il s'agissait du seul moyen de préserver l'ordre public, notamment le déroulement sans risque du vol et l'absence de risque de mort pour le passager en raison des conditions du transport, étant précisé que le Conseil constitutionnel a également érigé la protection de la santé publique en objectif de valeur constitutionnelle en se fondant sur l'alinéa 11 du Préambule de 1946 (DC n° 2022-835), pouvant ainsi justifier qu'il soit porté atteinte à la liberté d'aller et venir. Ce raisonnement a été validé par des jugements au fond du Tribunal administratif de la Guyane dès 2019, notamment dans un jugement du 23 octobre 2023. Il a été interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, qui ne s'est pas encore prononcée. Les conditions de réalisation du dispositif 100 % contrôle ne sont par définition pas discriminatoires. En effet, toutes les personnes se présentant à l'aéroport et l'ensemble des passagers embarquant sur un vol font l'objet d'un contrôle administratif, non seulement afin de garantir l'efficacité des mesures, mais aussi pour prévenir toute forme de trouble à l'ordre public. A l'aéroport Félix Eboué, le dispositif opérationnel mobilise quotidiennement 35 effectifs du service de la Police aux frontières (SPAF), dont 12 enquêteurs chargés, par délégation du préfet, lorsque les circonstances sont réunies, de notifier aux intéressés un arrêté d'interdiction d'embarquer pour un délai de 5 jours, sans préjudice des éventuelles suites judiciaires à apporter lorsque ces individus, au cours du contrôle, sont trouvés porteurs de produits stupéfiants. Les décisions d'interdiction d'embarquement se fondent sur des critères communs et des éléments objectifs recueillis en amont du contrôle 100 % (mode de réservation, nature et quantité des bagages, durée et récurrence des séjours en métropole, origine et mode d'achat des billets, date de la réservation, antécédents en matière de stupéfiants…), ainsi qu'en aval dans le cadre d'entretien en deuxième ligne avec les enquêteurs dans des locaux dédiés, hors de la vue du public afin d'approfondir l'enquête administrative (destination et motifs du séjour, itinéraire et plan de transport, identité des individus accueillant la personne concernée à son arrivée, ressources financières compatibles avec le séjour, cohérence des déclarations, analyse comportementale…). A l'instar de la volumétrie des arrêtés, le nombre de personnes présentées pour entretien aux enquêteurs connaît une baisse importante, grâce à une connaissance plus grande des modes opératoires et à une sélection toujours plus fine des personnes susceptibles de transporter des produits stupéfiants. Le dispositif 100 % contrôle a une efficacité avérée dans la lutte, indispensable, contre le narco-trafic. La forte pression exercée sur les réseaux de trafics de stupéfiants et le succès de cette stratégie « 100 % contrôle » a permis, en Guyane, de mettre un terme aux filières nigérianes et baltes courant 2023 et provoqué un phénomène de déport vers les Antilles et les autres aéroports de la zone sud-américaine. Selon le rapport d'information « L'action de l'État outre-mer : pour un choc régalien » des sénateurs Philippe Bas et Victorin Lurel (janvier 2025), les chiffres de l'OFAST permettent d'établir que de novembre 2021 à octobre 2022, 359 « mules » en provenance de Guyane avaient été interpelées avant la mise en place du « 100 % contrôle », contre 156 après (588 kg de produits saisis avant, 381 kg après). Par ailleurs, les procureurs généraux de Fort-de-France et de Basse-Terre constatent sur leur ressort une augmentation du nombre d'interpellations de « mules ». Les saisies de cocaïne transportée par des voyageurs en provenance des Antilles ont augmenté de 81 % en 2023 et de 37 % sur les dix premiers mois de 2024. Les nouveaux contrôles instaurés en Guadeloupe et en Martinique depuis l'observation de ce phénomène ont déjà fait diminuer le trafic, au profit des liaisons entre le Brésil et Paris. L'opération 100 % contrôle a conduit en deux ans, à l'augmentation de plus de 43 % du nombre de gardes à vue pour trafic de stupéfiants en Guyane, avec 731 gardes à vue en 2024 pour la DTPN 973. L'efficacité de ce dispositif a conduit à son extension à l'aéroport international Aimé Césaire de Martinique ainsi qu'aux embarquements portuaires pour les liaisons inter-îles, et à l'aéroport international de Guadeloupe-Maryse Condé. En effet, le trafic de stupéfiants au départ de l'aéroport de Fort-de-France a connu une croissance forte témoignant d'une forme d'ancrage problématique : en 2024, 139 passagers ont été interpellés, au départ ou en provenance de Fort-de-France en possession de 698 kg de produits stupéfiants, alors qu'en 2023, 146 passagers avaient été interpellés en possession de 524kg de produits stupéfiants. La pérennisation de ce dispositif est essentielle pour atteindre les objectifs nationaux de lutte contre le narcotrafic.
Auteur : M. Davy Rimane
Type de question : Question écrite
Rubrique : Outre-mer
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Outre-mer
Dates :
Question publiée le 11 février 2025
Réponse publiée le 29 avril 2025