Question orale n° 399 :
Enfance en danger, État défaillant : une maltraitance institutionnelle

17e Législature

Question de : Mme Zahia Hamdane
Somme (2e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

Mme Zahia Hamdane alerte Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles sur la faillite de la politique publique de protection de l'enfance, particulièrement criante dans le département de la Somme. En novembre 2022, la Défenseure des droits s'est auto-saisie de la situation locale, après des alertes de magistrats et de professionnels dénonçant des défaillances graves. Les agents de l'aide sociale à l'enfance y décrivent des « conditions de travail désastreuses » et, surtout, « des conditions catastrophiques dans lesquelles sont accompagnés les enfants ». Le 28 mai 2025, ils ont fait grève pour appeler à l'aide. Une fois encore. Face à une situation nationale tout aussi alarmante, la Défenseure a publié une décision-cadre le 28 janvier 2025. Le Gouvernement avait quatre mois pour y répondre. Ce délai est désormais dépassé. Et toujours aucun retour. Rien à la hauteur de l'enjeu. Comment justifier un tel silence vis-à-vis de milliers d'enfants concernés et des professionnels qui les accompagnent ? Dans le même temps, une commission d'enquête parlementaire, votée à l'unanimité, a qualifié l'État de « premier parent défaillant de France ». Elle a mis en lumière l'inapplicabilité des lois de 2007, 2016 et 2022, faute de moyens et de décrets d'application. Certaines pouponnières fonctionnent toujours sous une réglementation datant de 1974. Le projet pour l'enfant, censé être généralisé depuis près de vingt ans, ne l'est toujours pas. Et que fait le Gouvernement ? Il annonce des comités interministériels, des appels à projets aux contours flous. Il se désengage financièrement, laissant la charge presque entière aux départements. Aucun cap et surtout aucun ministre à l'enfance de plein exercice. À la place, un Haut-Commissariat dont les actes concernant les enfants confiés à l'État restent à démontrer. En résumé : des enfants en souffrance, des professionnels à bout, une politique morcelée, vidée de son sens. Ce n'est plus seulement une défaillance. C'est une désertion. Le Gouvernement doit mettre fin à cette maltraitance institutionnelle. Il faut cesser de prétendre piloter une politique non financée, non contrôlée et surtout non assumée. Elle souhaite connaître ses intentions à ce sujet.

Réponse en séance, et publiée le 16 juillet 2025

PROTECTION DE L'ENFANCE DANS LA SOMME
Mme la présidente . La parole est à Mme Zahia Hamdane, pour exposer sa question, no 399, relative à la protection de l'enfance dans la Somme.

Mme Zahia Hamdane . Je n’ai pas besoin de vous alerter sur l’effondrement alarmant de la politique publique de protection de l’enfance, particulièrement manifeste dans le département de la Somme, mais révélatrice d’une crise systémique nationale. Dès novembre 2022, Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, s’est saisie d’office de la situation dans la Somme, à la suite de signalements répétés de magistrats, de travailleurs sociaux et d’associations de terrain dénonçant des défaillances graves et persistantes.

Les agents de l’aide sociale à l’enfance (ASE) décrivent des conditions de travail désastreuses et, plus inquiétant encore, les conditions catastrophiques dans lesquelles sont accompagnés les enfants : ruptures de placement, carences éducatives, encadrement parfois inexistant.

Le 28 mai 2025, les professionnels de l'ASE de la Somme ont de nouveau cessé le travail pour alerter les autorités et réclamer des moyens humains et financiers à la hauteur des besoins. C’était la quatrième mobilisation en deux ans, dans l'indifférence quasi générale de l’État.

Dans sa décision-cadre du 28 janvier 2025, la Défenseure des droits a tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur les dysfonctionnements généralisés du système de protection de l’enfance. Elle a donné au gouvernement un délai de quatre mois pour y répondre. Ce délai est échu et pourtant, vous n'avez apporté aucune réponse concrète.

Votre silence est d’autant plus préoccupant qu’il concerne près de 330 000 enfants suivis chaque année par les services de la protection de l’enfance, dont environ 55 % sont confiés à l’ASE.

La gestion de l’ASE relève des conseils départementaux et cette organisation accentue les disparités territoriales, provoquant de profondes inégalités dans l’accès aux soins, à l’éducation, à la stabilité des parcours, et dans la qualité de l’accompagnement.

Selon les départements, un enfant confié à l’ASE n’a pas les mêmes chances de bénéficier d’un suivi de qualité, de disposer d'un projet pour l’enfant, rédigé et respecté, ou même d’avoir un référent éducatif stable – ce n'est malheureusement pas systématique.

Ces inégalités territoriales contredisent le principe d’égalité devant le service public et compromettent gravement l’universalité des droits des enfants confiés à la nation.

Parallèlement, la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances de la protection de l’enfance, créée à l’unanimité et dont le rapport a été publié en mars 2024, a qualifié l’État de « premier parent défaillant de France ». Elle a mis en lumière l’inapplication des grandes lois de 2007, 2016 et 2022, ambitieuses mais restées lettre morte, faute de moyens, de pilotage cohérent et de décrets d’application.

Certaines structures, comme les pouponnières, fonctionnent encore avec des cadres réglementaires datant de 1974, totalement inadaptés aux réalités actuelles. Le projet pour l’enfant, normalement systématisé depuis 2007 pour garantir un accompagnement personnalisé, est trop souvent inexistant.

Pendant ce temps, le gouvernement annonce des comités interministériels et des appels à projets sans calendrier précis, ni financement fléché. Il se désengage progressivement en transférant les responsabilités aux départements, sans leur fournir les ressources nécessaires.

Aucun ministre chargé de l’enfance à plein temps n’est actuellement en poste. Le haut-commissariat à l’enfance, récemment créé, peine à démontrer son efficacité, faute de levier politique. On constate d'ailleurs que Mme Sarah El Haïry, à peine nommée à cette fonction, annonce déjà sa candidature aux municipales de 2026 dans sa ville. Comment ne pas y voir un désintérêt flagrant pour la cause des enfants confiés à la protection de l’enfance ?

En résumé, que constate-t-on ? Des enfants en souffrance, des professionnels à bout, une politique morcelée et vidée de son sens. Il ne s’agit plus seulement de défaillance ; c'est une désertion de la puissance publique.

Monsieur le ministre, comment justifiez-vous ce silence prolongé, cette absence de mesures concrètes et urgentes, et surtout ce défaut de réponse politique face à ce que nombre d’enfants vivent comme une forme de maltraitance institutionnelle ?

Le gouvernement doit cesser de piloter une politique non financée, non évaluée, non assumée. Il doit enfin prendre des mesures fortes, immédiates et structurelles pour protéger les enfants confiés à la nation.

Mme la présidente . La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins . Vous avez pris tout le temps consacré à cet échange pour votre question ; ma réponse devra donc être brève, à moins que la présidente n’en décide autrement. Vous avez été travailleuse sociale, avez eu la responsabilité d’enfants placés et avez donc été confrontée à cette crise structurelle persistante.

Le gouvernement ne nie pas la réalité de la situation que vous avez décrite, et prend ses responsabilités. À plusieurs reprises, la ministre Catherine Vautrin a eu l’occasion de présenter devant les députés l’action résolue du gouvernement pour améliorer la situation. Devant la commission d’enquête, elle a pris deux engagements prioritaires : d'une part, la révision du décret de 1974 sur les pouponnières – il entrera en vigueur cet été ; d'autre part, la publication des derniers décrets d’application de la loi Taquet – un premier décret, relatif à la délivrance des agréments en cas de violence, a été publié en mars ; quatre autres sont en cours de finalisation.

Sur le plan structurel, la refondation de la protection de l’enfance repose sur deux piliers. Le premier vise à prévenir et éviter les placements chaque fois que possible, en accompagnant les familles au plus près de leurs difficultés. C’est dans cet esprit que le haut-commissaire à l’enfance a été chargé d’élaborer un plan de soutien à la parentalité.

Le second pilier vise à faire évoluer notre modèle pour renforcer l’accueil familial, afin d'en faire la solution de premier recours. Pour cela, nous élargissons le vivier des assistants familiaux en doublant les capacités de formation. À l’automne, le projet de loi que le gouvernement déposera permettra de cumuler, sous certaines conditions, l’activité d’assistant familial avec une autre activité professionnelle, de créer un véritable droit au répit, d’améliorer le statut des tiers de confiance et de faciliter les procédures d’adoption.

L’ensemble du gouvernement est mobilisé : la ministre chargée de l’autonomie et du handicap œuvre pour la prise en charge des enfants à double vulnérabilité. Les ministres de l’intérieur et de la justice renforcent les contrôles dans les structures d’accueil. La ministre de l’éducation nationale agit pour un meilleur accompagnement à l’école. Enfin, la ministre chargée du travail et de l’emploi travaille à préparer les jeunes à une vie d'adulte digne et autonome.

Par ailleurs, dès 2026, j’engagerai la généralisation des enseignements tirés des expérimentations Pégase – protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance – et Santé protégée, et nous déploierons systématiquement un bilan de santé à l’entrée dans l’ASE en mobilisant les centres d’appui à l’enfance.

Données clés

Auteur : Mme Zahia Hamdane

Type de question : Question orale

Rubrique : Enfants

Ministère interrogé : Travail, santé, solidarités et familles

Ministère répondant : Travail, santé, solidarités et familles

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 10 juin 2025

partager