Question orale n° 40 :
Cumul de contraventions : il faut une réponse adaptée

17e Législature

Question de : Mme Eva Sas
Paris (8e circonscription) - Écologiste et Social

Mme Eva Sas attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les problèmes engendrés par l'accumulation d'amendes forfaitaires et de contraventions par plusieurs habitants de sa circonscription, dont certains sont mineurs. Mme la députée note que l'accumulation des amendes, leur fréquence, leur concentration sur certains individus, certains quartiers, interroge sur l'usage proportionné de cet outil juridique. Au-delà de la pertinence de ces amendes et contraventions, on peut également s'interroger sur l'effectivité de ces sanctions et leur caractère dissuasif compte tenu des taux de recouvrement observés. Il est fréquemment observé que ce n'est qu'arrivés à la majorité et débutant leur vie professionnelle que les contrevenants endettés à hauteur de dizaines de milliers d'euros sur des motifs de tapage nocturne, non-respect du confinement ou autres contraventions routières prennent conscience de la sanction et de son ampleur. Le remboursement de cette dette pénalise alors lourdement leur entrée dans la vie professionnelle et la stabilité de leur vie de jeune adulte. Mme la députée souhaiterait donc que soit mise à l'étude une transformation de ces dettes d'amendes et contraventions en travaux d'intérêt général (TIG). Mme la députée est parfaitement consciente que les TIG ne sont pas de même nature que les amendes forfaitaires en terme de réponse pénale et que les TIG sont souvent utilisés comme complément ou comme alternative à l'emprisonnement pour des contraventions de 5e classe et des délits. Mais elle souhaiterait que M. le ministre réexamine la possibilité de la transformation des amendes dues à des contraventions de la 2e classe à la 4e classe en heures de TIG. À défaut, elle lui demande quels aménagements peuvent être faits pour apporter une solution à ces jeunes surendettés souhaitant s'insérer dans la vie sociale et professionnelle.

Réponse en séance, et publiée le 19 décembre 2024

AMENDES FORFAITAIRES ET CONTRAVENTIONS
M. le président . La parole est à Mme Eva Sas, pour exposer sa question, no 40, relative aux amendes forfaitaires et contraventions.

Mme Eva Sas . Je souhaiterais vous interpeller, monsieur le garde des sceaux, à propos du cumul d'amendes forfaitaires et de contraventions auxquels sont confrontés certains jeunes de la 8e circonscription, et plus largement de l'Est parisien.

En premier lieu, la fréquence et la concentration d'amendes et de contraventions sur certains individus et dans certains quartiers, notamment le quartier Erard-Charenton et la dalle Rozanoff, nous amènent à nous interroger.

On constate que certains jeunes sont très régulièrement verbalisés, parfois plusieurs fois dans la même journée, pour des motifs très divers allant du non-respect des règles de stationnement au défaut de port de gants à moto, en passant par le dépôt d'ordures ou les nuisances sonores.

Cette surverbalisation crée un doute sur l'usage adéquat et proportionné de cette forme de sanction. Des vidéos de caméra-piéton publiées par Mediapart en 2018 ont d'ailleurs confirmé le ciblage de certains jeunes, en particulier ceux ayant porté plainte en 2015 pour des contrôles d'identité jugés discriminatoires. Le phénomène de multiverbalisation a été objectivé par de nombreux travaux universitaires, enquêtes journalistiques et avis du Défenseur des droits.

Quelles mesures sont prises pour mettre fin à la pratique de la surverbalisation ciblant certains jeunes de nos quartiers ? Elles paraissent indispensables pour rétablir la confiance dans la justice et les institutions.

En deuxième lieu, compte tenu du taux de recouvrement observé, on peut s'interroger sur le caractère dissuasif des amendes qui seraient justifiées. Le président de la République a lui-même déploré le faible taux de recouvrement constaté sur les amendes forfaitaires délictuelles, qui stagne à 35 %.

Les familles n'ayant pas les moyens de payer ces amendes, ce n'est finalement qu'au début de leur vie professionnelle que les contrevenants, endettés à hauteur de dizaines de milliers d'euros, prennent conscience de la sanction et de son ampleur. Le remboursement de cette dette pénalise alors lourdement leur entrée dans la vie active.

D'où l'importance d'étudier la possibilité d'introduire dans la loi la transformation de ces dettes d'amendes en travaux d'intérêt général. Je suis consciente que les TIG sont pour l'instant utilisés comme complément ou comme alternative à l'emprisonnement pour des contraventions de cinquième classe et des délits, mais la mutation de dettes en TIG, les procédures d'effacement partiel ou de remise gracieuse ne peuvent-elles devenir des solutions concrètes apportées aux jeunes surendettés ?

J'ai déjà posé une question écrite et une question orale sur ce sujet ; j'attends de votre part des réponses précises.

M. le président . La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice . Je suis très sensible aux questions que vous posez.

L'article 130-1 du code pénal dispose que la peine a pour double fonction de sanctionner l'auteur de l'infraction et de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime.

La loi a prévu une échelle des peines adaptée à la gravité des faits réprimés : les infractions relevant des quatre premières classes, c'est-à-dire les moins graves, sont punies principalement par des peines d'amende, des peines privatives ou restrictives de droits, ou par des peines de sanction-réparation.

Nous avons parfaitement conscience des difficultés que peuvent rencontrer certains condamnés pour le paiement des amendes, raison pour laquelle la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice du 20 novembre 2023 autorise depuis le 30 septembre 2024 le juge d'application des peines de convertir une amende correctionnelle en TIG. C'est très récent.

S'agissant plus spécifiquement des mineurs, l'article L. 121-6 du code de la justice pénale des mineurs interdit le prononcé à l'encontre des mineurs d'une peine d'amende supérieure à la moitié de la peine encourue ou excédant 7 500 euros.

L'article L. 121-1 du même code interdit le prononcé de peines de jours-amende à l'encontre de mineurs.

Pour faciliter le paiement des amendes contraventionnelles, la loi prévoit l'application d'un abattement de 20 % de son montant si le condamné s'en acquitte dans un délai d'un mois. Les amendes forfaitaires font quant à elle l'objet d'une minoration dans le cas d'un paiement sous quinze jours ou sous trente jours en cas de télépaiement.

Enfin, tout condamné peut formuler auprès du Trésor public une demande d'échelonnement, une demande d'octroi d'un délai de paiement, voire une demande de remise gracieuse.

M. le président . La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas . Je reviendrai particulièrement sur la pratique de la surverbalisation, laquelle a été épinglée par un avis du Défenseur des droits en 2023, ainsi que par de multiples enquêtes journalistiques. Que certains jeunes soient ciblés et verbalisés plusieurs fois en une journée ne peut que nous interroger quant à l'usage qui est fait de la verbalisation.

Quelles démarches peuvent être entreprises par le ministère pour mettre fin à cette dérive dans l'exercice des forces de l'ordre ? Il y va de la confiance de ces jeunes dans les institutions et la justice.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Je comprends votre question et je suis convaincu qu'il y a un travail de sensibilisation des policiers à mener concernant cette pratique. Cependant, votre question s'adresse davantage au ministre de l'intérieur et je ne peux répondre à sa place sur ce point.

Données clés

Auteur : Mme Eva Sas

Type de question : Question orale

Rubrique : Crimes, délits et contraventions

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 novembre 2024

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