La jeunesse face à la pornographie
Question de :
M. Antoine Villedieu
Haute-Saône (1re circonscription) - Rassemblement National
M. Antoine Villedieu appelle l'attention de Mme la ministre de la culture sur les conséquences de l'exposition des plus jeunes aux images ou vidéos pornographiques. En France, ce sont plus de deux millions de mineurs qui consultent chaque mois des sites pornographiques. Les addictions croissantes auxquelles sont confrontés les jeunes préoccupent de nombreux spécialistes. Ces films, qui présentent une image dégradante de la femme et de la sexualité, sont aujourd'hui considérés par beaucoup comme un support éducatif voir à une forme d'initiation. Les effets psychologiques sont désastreux et peuvent conduire à de nombreux problèmes comportementaux. Anxiété, troubles de l'humeur, inhibition des récepteurs de la dopamine, perte de confiance en soi et dépression sont des maux fréquemment constatés chez les consommateurs de ce type de contenu. Il souhaiterait connaître les mesures envisagées pour protéger les jeunes de la pornographie.
Réponse publiée le 26 novembre 2024
La lutte contre l'exposition des mineurs, de plus en plus jeunes, aux contenus pornographiques en ligne est une priorité du Gouvernement. Si des obligations de signalétique des contenus audiovisuels existent de longue date pour la télévision, et plus récemment pour les services de médias audiovisuels à la demande, la problématique s'est aujourd'hui largement déplacée sur Internet, au travers en particulier des réseaux sociaux, des plateformes de partage de vidéos et via les moteurs de recherche. Selon l'étude publiée en mai 2023 par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques chaque mois, et en moyenne, 12 % de l'audience de ces sites est réalisée par les mineurs. D'après l'observatoire des plateformes numériques publié par l'ARCOM en novembre 2024, les mineurs représentent 16 % de l'audience du site pornographique Pornhub. Ces chiffres, en forte croissance ces dernières années, appellent des mesures fortes pour protéger les mineurs en ligne au vu des conséquences néfastes sur leur développement psychologique et leur comportement. Conscients de cet enjeu, le législateur et le Gouvernement continuent de renforcer l'arsenal juridique aux niveaux national et européen. Les dispositions nationales adoptées fin 2020 dans le cadre de la transposition de la directive sur les Services de médias audiovisuels révisée en 2018 imposent aux plateformes de partage de vidéos établies en France de mettre en place les mesures appropriées pour protéger les mineurs contre les contenus préjudiciables et leur empêcher l'accès aux contenus pornographiques : classification des contenus avec une signalétique des vidéos, dispositif de vérification d'âge, mise en place d'outils de contrôle parental ou encore développement de l'éducation aux médias. Elles confient en outre à l'ARCOM une mission d'accompagnement des acteurs par ses recommandations et de veille à la mise en œuvre de ces mesures. Toutefois, ces dispositions s'appliquent uniquement aux plateformes relevant de la compétence de la France. Au-delà, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales est venue préciser qu'une simple demande de déclaration (« disclaimer ») de l'internaute indiquant qu'il est âgé d'au moins dix-huit ans n'était pas suffisante pour respecter l'interdiction de donner accès aux mineurs à des contenus pornographiques prévue à l'article 227-24 du code pénal. Cette loi a doté l'ARCOM d'un pouvoir de mise en demeure des sites pornographiques qui continueraient à permettre l'accès aux mineurs en violation de l'article 227-24 du code pénal, pour les enjoindre de prendre toute mesure de nature à empêcher leur accès aux contenus incriminés. L'ARCOM a le pouvoir, en cas de non-respect de cette injonction, de saisir le tribunal judiciaire pour obtenir le blocage de ces sites (et de leurs « sites miroirs ») et leur déréférencement des moteurs de recherche et annuaires. Ainsi, depuis décembre 2021, l'ARCOM a adressé des mises en demeure à près d'une quinzaine de sites pornographiques puis a saisi, en mars 2022, le président du tribunal judiciaire de Paris pour qu'il ordonne aux principaux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer l'accès à cinq de ces sites. Toutefois cette procédure est toujours pendante, le Conseil d'État, saisi par deux sites pornographiques concernés, ayant demandé à la Cour de justice de l'Union européenne de se prononcer sur les pouvoirs de l'ARCOM pour faire respecter l'interdiction pénale d'accès de ces sites aux mineurs. Parallèlement, et afin d'aider les parents à lutter contre la consommation de contenus pornographiques par leurs enfants mineurs, la loi n° 022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à Internet, entrée en application en juillet dernier, impose aux fabricants d'équipements connectés d'intégrer un contrôle parental gratuit et facile d'utilisation dans les terminaux mis sur le marché. Il revient alors aux parents d'activer ou non ce contrôle parental installé par défaut, lors de la mise en service de l'appareil de leur enfant mineur. Le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act – DSA), adopté fin 2022, qui vise à renforcer la protection des utilisateurs de plateformes en ligne, en particulier sur les principaux réseaux sociaux, impose aux très grandes plateformes et très grands moteurs de recherche dont l'audience dépasse 45 millions d'utilisateurs dans l'Union européenne, de mener une évaluation des risques systémiques induits par leurs services, et de proposer des mesures d'atténuation de ces risques. Cette évaluation, qui porte notamment sur les risques relatifs à la santé mentale des mineurs, devrait donc couvrir leur exposition aux contenus pornographiques. La Commission européenne devrait publier, début 2025, des lignes directrices pour préciser les mesures de protection des mineurs prévues par le DSA et a récemment lancé un appel à contributions auquel les autorités françaises ont répondu pour rappeler leurs attentes en matière de vérification de l'âge des utilisateurs par les sites pornographiques. La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (dite « loi SREN ») adapte le droit français notamment au règlement DSA et prévoit en outre des dispositions visant, au titre de l'intérêt public supérieur de protection des mineurs, à s'assurer qu'ils n'aient pas accès aux contenus pornographiques en ligne. En particulier, les articles 1 et 2 de ladite loi imposent aux plateformes pornographiques en ligne établies en France ou hors de l'Union européenne des obligations procédurales et de moyens de vérifier l'âge des utilisateurs souhaitant accéder à leurs services. Elle confie de nouveaux pouvoirs à l'ARCOM pour sanctionner et le cas échéant, bloquer, sur le territoire français, sans décision préalable d'un juge, les sites pornographiques qui n'empêcheraient pas leur accès aux mineurs de façon fiable. Et, dans la mesure où les plateformes pornographiques les plus consultées par les utilisateurs français sont établies dans d'autres États membres de l'Union européenne, le législateur a prévu la possibilité, par application du régime dérogatoire de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique (dite directive e-commerce), d'étendre son dispositif aux services établis dans ces États afin d'assurer une meilleure protection des mineurs en ligne, après notification des autorités des États membres concernés et de la Commission. Par application de la loi SREN, l'ARCOM a publié, le 11 octobre dernier, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, un référentiel technique détaillant les mesures de fiabilité et de respect de la vie privée que les services pornographiques doivent respecter pour leurs outils de vérification de l'âge, sous peine de sanctions financières. L'ARCOM pourra ainsi demander le blocage de sites pornographiques dont les méthodes de vérification de l'âge sont inefficaces une fois publiés les textes d'application de la loi SREN, probablement d'ici janvier 2025. Enfin, au niveau européen, les travaux se poursuivent sur le projet de règlement visant à lutter contre les abus sexuels sur mineurs. La proposition de texte formule des obligations de détection, de signalement, de déréférencement, de retrait et de blocage des contenus pédopornographiques (images, vidéos, audio et textes) pour tous les fournisseurs de services en ligne, y compris sur les messageries de communication interpersonnelle chiffrée - sous conditions, pour y détecter d'éventuels contenus pédopornographiques. Ce projet de texte très attendu soulève toutefois des difficultés relatives à la conciliation de la détection des contenus pédopornographiques en ligne, du respect du droit à la vie privée et de l'interdiction de surveillance généralisée des contenus sur Internet. Une orientation générale pourrait être adoptée par le Conseil d'ici fin 2024, ouvrant les négociations avec le Parlement européen.
Auteur : M. Antoine Villedieu
Type de question : Question écrite
Rubrique : Jeunes
Ministère interrogé : Culture
Ministère répondant : Culture
Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 26 novembre 2024