Radicalisation dans les prisons
Question de :
Mme Sophie Blanc
Pyrénées-Orientales (1re circonscription) - Rassemblement National
Mme Sophie Blanc alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur un incident particulièrement préoccupant survenu récemment à la prison de Perpignan. Le 12 juillet 2024, un détenu incarcéré depuis la fin du mois de mai s'est livré à des actes de violence verbale en tenant des propos extrémistes contre les « mécréants » avant de mettre le feu à sa cellule. Cet incident grave met en lumière des questions essentielles sur la sécurité au sein des établissements pénitentiaires et sur les risques liés à la radicalisation en prison. Selon les informations publiées dans la presse, ce détenu, incarcéré pour des raisons non précisées, a manifesté un comportement agressif et virulent, visant spécifiquement ceux qu'il qualifiait de « mécréants ». Son attitude a culminé par l'incendie de sa cellule, mettant en danger non seulement sa propre vie mais aussi celle des autres détenus et du personnel pénitentiaire. Cet évènement est révélateur des tensions et des défis auxquels sont confrontées les institutions pénitentiaires face à la montée de la radicalisation. Ce phénomène n'est malheureusement pas isolé et s'inscrit dans un contexte plus large de radicalisation en prison, un problème identifié depuis plusieurs années par divers rapports et études. Le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) de juin 2020 souligne que la radicalisation en prison constitue une menace croissante pour la sécurité intérieure. Ce rapport met en évidence plusieurs facteurs contribuant à la radicalisation des détenus, notamment les conditions de détention, l'isolement social et les influences externes via les réseaux de communication modernes. Les prisons sont devenues des lieux de prosélytisme pour certaines idéologies extrémistes. Les détenus vulnérables, souvent en quête de repères et de soutien, deviennent des cibles faciles pour les recruteurs extrémistes. Le rapport souligne également que les actions de déradicalisation menées actuellement manquent souvent de coordination et de moyens, ce qui limite leur efficacité. Les travaux académiques et les témoignages d'experts corroborent les observations du CGLPL. Une étude publiée dans la revue Criminocorpus détaille les mécanismes de la radicalisation en prison, soulignant l'importance des interactions sociales et des dynamiques de groupe dans ce processus. Les détenus radicalisés exercent souvent une influence considérable sur leurs codétenus, exacerbant les risques de violence et de propagation d'idéologies extrémistes. Par ailleurs, un article de La Croix publié en janvier 2024 met en lumière les efforts de certains islamologues et travailleurs sociaux pour lutter contre la radicalisation violente en prison. Ces initiatives, bien que louables, peinent à suffire face à l'ampleur du phénomène. Les intervenants dénoncent un manque de ressources et de soutien institutionnel pour mener à bien leur mission. Face à ces constats alarmants, quelles sont les mesures actuellement en place pour prévenir et traiter la radicalisation en prison ? Comment M. le ministre évalue-t-il leur efficacité et quels indicateurs utilise-t-il pour cette évaluation ? Le personnel pénitentiaire est-il suffisamment formé pour détecter et gérer les signes de radicalisation parmi les détenus ? Des formations spécifiques sont-elles prévues pour renforcer leurs compétences en matière de prévention de la radicalisation ? Existe-t-il une coordination centralisée des initiatives de déradicalisation en prison ? Comment M. le ministre s'assure-t-il que les différentes actions menées par les acteurs institutionnels et associatifs soient cohérentes et complémentaires ? Quelles ressources financières et humaines sont allouées spécifiquement à la lutte contre la radicalisation en milieu carcéral ? Ces ressources sont-elles jugées suffisantes par les acteurs de terrain ? Quelles mesures de sécurité supplémentaires pourraient être mises en place pour protéger les détenus et le personnel pénitentiaire des actes de violence liés à la radicalisation ? M. le ministre envisage-t-il l'installation de dispositifs technologiques ou le renforcement des équipes de sécurité pour prévenir de tels incidents ? Quels programmes de réhabilitation et de suivi sont proposés aux détenus identifiés comme radicalisés ? Comment M. le ministre mesure-t-il l'impact de ces programmes sur la réinsertion des individus concernés et la réduction des risques de récidive violente ? L'incident survenu à la prison de Perpignan est un rappel brutal des défis posés par la radicalisation en milieu carcéral. Il est crucial de renforcer l'approche en matière de prévention et de gestion de ce phénomène pour assurer la sécurité de tous les acteurs impliqués. La mise en place de mesures efficaces et coordonnées est indispensable pour contrer cette menace et protéger la société française. Elle souhaite donc savoir quelles réponses il va apporter à ces questions.
Réponse publiée le 8 avril 2025
Afin de prévenir et d'endiguer les risques de prosélytisme et de violence liés à un motif idéologique, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) développe et déploie une politique dynamique de lutte contre la radicalisation structurée autour des trois axes principaux : détecter, évaluer et prendre en charge. Les personnes détenues identifiées comme radicalisées, qu'elles soient poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme lié à l'islam radical (TIS) ou condamnées pour des faits de droit commun et radicalisées (RAD), sont orientées vers des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER). Elles y sont évaluées par une équipe pluridisciplinaire durant 15 semaines au travers d'observations, d'entretiens et d'activités. Une affectation est ensuite proposée au regard des résultats de l'évaluation du risque de prosélytisme et/ou de passage à l'acte violent selon un motif idéologique : détention ordinaire avec suivi individualisé, quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), quartier d'isolement (QI). Cette stratégie en trois temps permet d'endiguer le risque de prosélytisme. Le déploiement des QPR et l'usage des QI offrent notamment des garanties d'étanchéités du reste de la population pénale. L'évaluation de l'efficience de la stratégie de la lutte contre la radicalisation violente en détention est portée, depuis l'appel d'offre lancé par la DAP en 2022, par le centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), laboratoire associé à Sciences Po Saint Germain en-Laye. Cette évaluation fait aujourd'hui partie intégrante du plan d'action contre le terrorisme (PACT) dans son action 2 intitulée « évaluer le dispositif d'incarcération des détenus TIS ». Le rapport final sera remis en novembre 2024. La formation des personnels pénitentiaires à la détection des signes de radicalisation violente, à l'évaluation et la prise en charge des détenus signalés est un enjeu majeur de la politique de lutte contre la radicalisation déployée par la DAP. Entre 2015 et 2024, plus de 60 % des personnels pénitentiaires ont été formés. Des modules de sensibilisation au processus de radicalisation violente d'une durée de 5 à 12h, adaptés par corps de métiers, sont intégrés dans les formations initiales dispensées par l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP). L'ensemble des agents pénitentiaires, intervenants en milieux fermé et ouvert ont accès à une offre de formation continue actualisée chaque année, leur permettant une montée en compétence sur les thématiques suivantes : connaissance et histoire de l'islam, géopolitique, courants jihadistes, discours alternatifs, contre-discours… Les professionnels intervenant en quartiers spécifiques (QER et QPR) suivent un programme de formation construit sur 3 semaines (modules communs et spécialisés par corps), abordant les thématiques suivantes : la sécurité, la détection des signes de radicalisation violente, l'évaluation et la prise en charge. Cette montée en compétence régulière des agents pénitentiaires, facilitée par une stabilité des personnels intervenant sur le champ de la radicalisation violente, a, par voie de conséquence, conduit à une identification de plus en plus fine du public cible. La mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV), créée en 2017 au sein de la DAP centralise et pilote la stratégie nationale de lutte contre la radicalisation violente en détention sur l'ensemble du territoire. Son réseau compte : - 276 professionnels de surveillance et d'insertion et de probation au niveau national, œuvrant exclusivement au fonctionnement des 14 quartiers spécifiques ; - Environ 200 éducateurs et psychologues MLRV ; - 17 médiateurs du fait religieux ; - 406 référents radicalisation violente, conseillers et directeur pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP et DPIP). L'ensemble de ces professionnels est déployé au sein des 9 missions interrégionales de lutte contre la radicalisation violente (MILRV) réparties entre les 9 directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) et la direction des services pénitentiaires d'Outre-mer (DSPOM). S'agissant de la réduction des risques de récidive, les SPIP travaillent à la réaffiliation socio-professionnelle de l'ensemble des PPSMJ, tout au long de leur parcours. 6 mois avant la fin de l'incarcération, les SPIP veillent à la continuité de la prise en charge entre milieux fermé et ouvert, en mobilisant les différents partenaires. Ainsi, les personnes détenues TIS peuvent faire l'objet d'un placement au centre national d'évaluation de la radicalisation (CNER) pour déterminer la nécessité de mettre en place une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion notamment par un accompagnement par le dispositif PAIRS qui est le "programme d'accueil individualisé et de réaffiliation sociale". En cas d'absence de mesure ou de fin de la mesure judiciaire en milieu ouvert, le relais est assuré par la cellule de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF) de la préfecture concernée. A ce jour, depuis la structuration de cette stratégie de lutte contre la radicalisation violente en 2017, malgré le nombre de personnes condamnées pour des faits de terrorisme et de personnes radicalisées sorties de détention, les cas de récidive demeurent exceptionnels. Enfin, pour l'exercice 2024, les crédits alloués à la lutte contre la radicalisation violente s'élèvent à 2,6 M€, dont 1,6 M€ sont délégués aux DISP. L'administration pénitentiaire œuvre activement pour endiguer le risque de prosélytisme en détention, tout en assurant un travail de désengagement de l'acte violent des personnes radicalisées au sein de quartiers dédiés.
Auteur : Mme Sophie Blanc
Type de question : Question écrite
Rubrique : Lieux de privation de liberté
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 8 avril 2025