Encadrement des poursuites de véhicules en fuite
Question de :
M. Stéphane Viry
Vosges (1re circonscription) - Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires
M. Stéphane Viry interroge M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur les règles d'intervention des forces de l'ordre en matière de poursuite de véhicules en fuite, définies par l'instruction 89. Chaque semaine, de nombreux refus d'obtempérer sont constatés sur l'ensemble du territoire national, entraînant des courses-poursuites qui permettent, dans la plupart des cas, d'interpeller les délinquants en fuite. Or, depuis plusieurs mois, l'instruction 89 impose aux forces de l'ordre de ne poursuivre un véhicule qu'en cas de faits d'une gravité avérée, comme l'évasion d'un individu dangereux ou la commission d'un crime de sang. Dans les autres situations, considérées comme moins graves, la poursuite systématique est proscrite. Si cette directive vise à limiter les risques inhérents aux courses-poursuites, elle soulève toutefois des interrogations quant à son application sur le terrain. En effet, les délinquants ayant connaissance de cette contrainte peuvent se sentir encouragés à fuir les forces de l'ordre en toute impunité, créant un sentiment d'insécurité croissant parmi les citoyens. Bien que la vidéoprotection permette, dans certains cas, d'identifier et d'interpeller ultérieurement les auteurs des infractions, elle ne remplace pas toujours l'intervention immédiate et laisse subsister un risque d'escalade de la délinquance routière. Aussi, il souhaite connaître sa position sur cette instruction et savoir s'il envisage une révision de cette note afin de permettre aux forces de l'ordre d'adapter leurs interventions en fonction de la réalité du terrain ; les policiers et gendarmes, pleinement conscients des risques liés aux courses-poursuites, doivent pouvoir agir avec la souplesse nécessaire pour garantir la sécurité publique.
Réponse publiée le 3 juin 2025
Les refus d'obtempérer témoignent de la dégradation du respect de l'autorité, notamment de celle de l'État, et de la montée de la violence. Ces comportements sont aussi l'expression de différents autres phénomènes : conduite sans permis ou sans assurance ou consommation de drogue ou d'alcool par exemple. De plus en plus fréquemment, des conducteurs au comportement criminel n'hésitent plus, pour se soustraire à un contrôle, à mettre en danger la vie des agents des forces de l'ordre mais aussi de tiers présents sur la voie publique. Cette réalité quotidienne témoigne du contexte de violence et d'irrespect dans lequel policiers et gendarmes, de plus en plus, interviennent, régulièrement au péril de leur vie, avec chaque année de terribles drames. En 2023, les forces de l'ordre ont enregistré plus de 23 000 refus d'obtempérer. Pour les seuls services de la direction générale de la police nationale, plus de 8 000 ont été constatés au cours des 9 premiers mois de 2024. Les gendarmes, quant à eux, ont relevé 12 833 refus d'obtempérer en métropole et outre-mer durant l'année 2024. Les refus d'obtempérer ne sont pas des infractions routières minimes, mais des délits à part entière. Ils doivent être traités en tant que tels, à la hauteur de la gravité qu'ils représentent. Face à l'aggravation des atteintes commises contre les forces de sécurité intérieure de l'État, l'arsenal législatif a été durci. La loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a ainsi aggravé la répression du refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter. Les forces de police et de gendarmerie disposent de méthodes opérationnelles d'immobilisation des véhicules (dispositifs d'interception des véhicules automobiles), en application de l'article L. 214-2 du code de la sécurité intérieure. Des limites techniques et matérielles et les précautions d'usage ne permettent toutefois pas l'utilisation systématique de ces dispositifs, quand ceux-ci mettent en danger les forces de sécurité intérieure, le contrevenant ou un tiers. De plus, ils ne fonctionnent pas toujours face à des conducteurs déterminés à ne pas s'arrêter et alors que les constructeurs automobiles développent des pneumatiques toujours plus résistants. L'absence d'arrêt immédiat du véhicule peut avoir différentes causes, notamment si les forces de l'ordre concernées jugent qu'une réaction immédiate est potentiellement génératrice de risques trop importants (présence de nombreux piétons, zone de forte circulation, etc.). Au sein de chaque force de sécurité intérieure, des directives en matière de réaction face au refus d'obtempérer sont éditées. Ainsi, le vade-mecum de la direction générale de la gendarmerie nationale relatif à l'interception en sécurité d'un véhicule refusant d'obtempérer incite les militaires à privilégier une interception différée lorsque celle-ci est possible et à faire de l'interception immédiate le « dernier recours, au regard de la prise de risque qu'elle suppose », tout en garantissant qu'elle soit « proportionnée à la situation ». La méthode appliquée à ces interventions repose ainsi que le principe du « SUN » : sécurité, urgence, nécessité. Aussi, tout refus d'obtempérer est porté à la connaissance du centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie qui, en fonction des circonstances, peut faire manœuvrer les unités pour permettre la prise en charge du contrevenant en diffusant une alerte et en déployant un dispositif d'interception. A défaut, il enjoint à limiter les risques si le véhicule est bien identifié ou localisé ou si la poursuite présente trop de dangers. Au sein de la police nationale, la « course poursuite » n'est pour autant en aucun cas interdite. Les policiers peuvent engager une prise en charge. Les règles d'intervention sont à cet égard précisées par des instructions - dont certaines rappelées dans la question écrite - aux services territoriaux de police, tant ceux de la préfecture de police que ceux de la direction générale de la police nationale. Celles-ci ont pour but de fournir un cadre juridique clair et sécurisant en encadrant les formes de l'action policière et en fournissant des solutions alternatives à la seule poursuite de véhicules. Les règles d'intervention des forces de l'ordre, si elles font à ce jour l'objet d'instructions distinctes entre la préfecture de police, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale relèvent toutefois des mêmes principes. Comme dans toutes leurs missions, policiers et gendarmes doivent faire preuve de discernement et de sang-froid, ne pas mettre en danger les autres usagers de la route et régulièrement rendre compte au centre d'information et de commandement ou du centre opérationnel et de renseignement de la gendarmerie dont ils relèvent. Un cadre global d'instructions est toutefois à l'étude. Des travaux sont donc actuellement conduits entre la préfecture de police, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale pour élaborer une doctrine commune garantissant une uniformité des réponses face aux refus d'obtempérer sur l'ensemble du territoire national. Cette doctrine a vocation à laisser davantage d'initiative opérationnelle aux équipages intervenant dans la prise de décision en matière de poursuite en cas de refus d'obtempérer tout en leur rappelant les règles d'engagement et de sécurité à respecter dès lors que celle-ci s'engage (utilisation prioritaire des dispositifs mécaniques d'interception des véhicules, discernement, compte rendu immédiat et régulier au centre d'information et de commandement, utilisation des avertisseurs sonores et lumineux, respect des règles de sécurité dans la conduite des véhicules au regard du danger pour les policiers et les tiers, etc.). En tout état de cause, l'actuel cadre doctrinal ne porte en rien atteinte à la mission du policier ou du gendarme qui est de tout mettre en œuvre pour interpeller les auteurs de crimes ou de délits. Lorsqu'un conducteur a pu échapper à un contrôle, et lorsqu'une prise en charge n'est pas possible, des recherches sont menées pour identifier l'auteur du délit, avec tous les moyens d'enquête utiles (description du véhicule, direction de la fuite, signalement du conducteur, recours aux images de vidéoprotection, investigations techniques, auditions de témoins, etc.), en vue d'une interpellation ultérieure. Contrairement à une idée convenue, l'absence ou l'abandon d'une « course-poursuite » ne traduit aucunement un laxisme ou une impuissance et n'est synonyme ni d'échec ni de faiblesse ou d'impunité. D'autres mesures d'urgence que la poursuite peuvent en outre immédiatement être mises en œuvre : déploiement de renforts de forces de l'ordre sur l'itinéraire prévisible de progression, dispositif de ralentissement de la circulation en aval, déclenchement d'un plan de recherche ou mise en surveillance… À la demande du ministre d'État, ministre de l'Intérieur, des travaux seront donc menées pour trouver les voies d'une action plus ferme et plus efficace. Au-delà du travail des forces de l'ordre, la réponse à ce phénomène passe aussi nécessairement par une réponse pénale et administrative beaucoup plus forte : confiscation systématique du véhicule, prononcé plus systématique de la mesure d'annulation du permis de conduite. Il convient aussi de rappeler que plusieurs chantiers sont engagés par le ministre de l'Intérieur pour renforcer la sécurité sur la voie publique : plans départementaux de restauration de la sécurité du quotidien, présence accrue des forces de l'ordre sur le terrain, engagement croissant des polices municipales aux côtés des forces de l'ordre, etc. Ces changements seront de nature, avec le nécessaire durcissement de la réponse pénale, à permettre de mieux lutter contre la banalisation de l'irrespect et de l'irresponsabilité que représentent les refus d'obtempérer.
Auteur : M. Stéphane Viry
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 25 février 2025
Réponse publiée le 3 juin 2025