Il faut faire vivre le dessin de presse !
Question de :
M. Damien Maudet
Haute-Vienne (1re circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Damien Maudet interpelle Mme la ministre de la culture au sujet du déclin du dessin de presse, 10 ans après les attentats ayant coûté la vie aux membres de la rédaction de Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2025, la France rendait un douloureux hommage aux membres de la rédaction de Charlie Hebdo, morts dans un attentat terroriste pour des dessins. Sous le feu des assaillants, Cabu, Charb, Tignous, Honoré, Wolinski et leurs collègues ont perdu la vie pour avoir exercé leur métier, en France. Le 11 janvier 2015, une marche républicaine avait alors rassemblé 1,5 million de personnes au nom de la liberté d'expression. Sur deux jours, plus de 4 millions de Français avaient défilé sur le territoire. Il y a 10 ans, on était tous Charlie. Pourtant, le dessin de presse ne cesse de décliner depuis. Depuis, le nombre de dessinateurs de presse ne cesse de diminuer en France, tout comme la place accordée à leurs productions dans les médias. En 2019, parmi les 35 000 détenteurs de la carte de presse dans le pays, seulement 18 étaient des dessinateurs de presse contre 230 en 1950, dont 5 femmes seulement actuellement. « Une certaine peur pèse sur les dessinateurs comme sur les responsables de journaux. C'est peut-être là l'une des raisons expliquant le déclin du dessin dans la presse : c'est devenu risqué ! », explique l'historien Christian Delporte, professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. « Un coup de poing dans la gueule » : telle est pourtant la définition d'un bon dessin de presse selon Cavanna, cofondateur d'Hara Kiri et de Charlie Hebdo. En effet, si ces visuels satiriques sont devenus des symboles de la liberté d'expression, aussi bien pour les citoyens que pour les pouvoirs publics, rien n'est mis en place pour garantir leur pérennité, notamment financière. « Un dessinateur est souvent une variable d'ajustement. Du moins dans les médias généralistes. (...) Une cerise sur le gâteau ou un caillou dans la chaussure (...). Il suffira d'un mauvais buzz, d'un coup de vent sérieux sur les réseaux sociaux pour qu'il soit prié d'aller voir ailleurs », déplore Fabienne Desseux, auteure de Qui veut la peau du dessin de presse ? Le nombre de dessinateurs en CDI dans la presse est relativement faible et une large majorité travaille en tant que pigistes. Un système aux faibles revenus avec une grande instabilité financière. « Il y a une désaffection du public et des journaux, mais également une désaffection de la part des dessinateurs », résume Christian Delporte. L'ampleur de la crise économique à laquelle fait face la presse mène à des réductions de personnel, y compris parmi les dessinateurs de presse. Par exemple, en 2010, les quotidiens nationaux tiraient 1,8 million d'exemplaires par jour, contre 4,6 millions en 1945. De fait, la place laissée à la liberté d'expression par le dessin est moindre. « Une partie de la profession, artistes et dessinateurs (...) se tourne aussi vers d'autres canaux de diffusion : ce fut un temps le cas des blogs et aujourd'hui des réseaux sociaux », indique Bruno Nassim Aboudrar, historien de l'art et professeur à l'université Sorbonne-Nouvelle. Un nouveau modèle ne garantissant aucunement leurs rémunérations, encore moins leur protection. « Il faut qu'il y ait de plus en plus de dessins de presse dans les médias. Ce qui n'est pas facile. Peut-être qu'il faudra l'imposer par la loi ? Ça fait partie de notre patrimoine culturel, le dessin de presse », suggère le dessinateur Placide. M. le député demande à Mme la ministre si elle compte agir pour préserver ce patrimoine et par exemple instaurer aux médias de publier un quota minimum de dessins de presse. Il lui demande quelles dispositions elle compte mettre en place pour garantir la pérennisation de ce patrimoine dans le pays, pour ne pas voir mourir, une deuxième fois, cet héritage et l'esprit Charlie.
Réponse publiée le 17 juin 2025
Symbole de la liberté d'expression, le dessin de presse relève d'un enjeu démocratique, encore plus depuis l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo en janvier 2015. Multiforme, il permet, souvent avec humour, de combattre les préjugés, le conformisme intellectuel, de faire émerger des débats contemporains, et de décrypter les questionnements de notre société. Le ministère de la culture est attaché à la diffusion de cette forme d'expression singulière, entre art et journalisme, au langage puissant et indispensable à la vitalité d'une société libre et démocratique. Pourtant, le dessin de presse est de moins en moins présent dans les médias. La baisse tendancielle des volumes de ventes de la presse, le développement d'internet et des réseaux sociaux avec l'utilisation hors contexte de dessins, ainsi qu'une certaine autocensure des médias, peuvent expliquer ce phénomène. Face à ce constat, le ministère de la culture est engagé à plusieurs titres dans la promotion du dessin de presse et pour affirmer son rôle de vecteur du pluralisme des idées. L'imposition de quotas de dessins de presse dans les médias ne figure cependant pas parmi les leviers envisagés puisqu'elle s'opposerait au principe de liberté éditoriale des titres de presse. En 2024, le ministère de la culture a versé 23,4 millions d'euros à 375 titres dans le cadre des aides au pluralisme. Ces aides visent à garantir la diversité des médias, essentielle à un paysage médiatique libre et indépendant dans un contexte de forte fragilisation économique du secteur. Les aides au pluralisme ont notamment pour but de compléter les ressources des titres de presse qui ne disposent pas de recettes publicitaires suffisantes de sorte que la pression des marchés publicitaires ne détermine pas les idées qui alimentent le débat public. Ce soutien public contribue à la solidité financière des titres de presse, et donc à leur capacité à rémunérer des dessinateurs de presse. Des aides fiscales viennent en outre soutenir directement la profession. L'article 81 du code général des impôts dispose que « sont affranchies de l'impôt […J les allocations spéciales destinées à couvrir les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi et effectivement utilisées conformément à leur objet. Les rémunérations des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux perçues ès qualités constituent de telles allocations à concurrence de 7 650 euros ». Cet abattement bénéficie aux dessinateurs de presse, qui sont assimilés à des journalistes professionnels en application de l'article L. 7111-4 du code du travail. Par ailleurs, le ministère de la culture soutient le développement de l'éducation aux médias et à l'information (EMI) à destination de tous les publics, jeunes et adultes, sur tous les territoires. Il a opéré une montée en puissance de ses actions à partir de 2018 avec la mise en œuvre d'un plan dédié doté de 3 millions d'euros par an. Ce plan se décline au niveau régional et national par le soutien apporté à des associations de professionnels de l'information, journalistes et dessinateurs, d'éducation populaire et de jeunesse, et du secteur des bibliothèques. Chaque année, les éditeurs de presse contribuent activement à la semaine de la presse et des médias dans l'école organisée par le CLEMI, comprend de nombreuses actions relatives au dessin de presse. Enfin, le ministère de la culture en partenariat avec la Ville de Paris et la région Ile-de-France pilote et soutient le projet de Maison du dessin de presse. La création de celle-ci, initiée par Georges Wolinski et par son épouse Maryse, a été annoncée par le Président de la République dans ses vœux à la presse de 2020. La Maison du dessin de presse aura trois missions essentielles : le patrimoine : une exposition permanente permettra de retracer plus de deux cents ans d'histoire du dessin de presse en France, depuis la Révolution française jusqu'à nos jours. A travers des œuvres originales et des reproductions, le public découvrira les sources du dessin de presse et ses transformations au fil des évolutions politiques, sociales et esthétiques. Un espace d'expositions temporaires accueillera les dessins de toutes époques, réalisés en France ou à l'étranger ; la création : la Maison du dessin de presse accueillera des dessinatrices et dessinateurs de presse qui exerceront leur art dans le cadre de résidences, de cours destinés à tous types de publics ou de spectacles accompagnés de dessins. Des ateliers pour les dessinatrices et dessinateurs et un espace destiné à accueillir des spectacles, des rencontres et des actions de médiation seront aménagés ; la transmission : le dessin de presse demande de la part de celles et ceux qui le regardent une capacité de compréhension et d'interprétation. Alors que de nombreuses et excellentes initiatives sont prises depuis des années par l'éducation nationale, les collectivités territoriales, le monde associatif et les dessinatrices et dessinateurs eux-mêmes, la Maison du dessin de presse entend contribuer à cet effort de médiation, en s'adressant tout particulièrement aux publics scolaires, dans le cadre des programmes d'enseignement moral et civique, d'éducation artistique et culturelle et d'éducation aux médias et à l'information. L'immeuble destiné à accueillir la Maison du dessin de presse, situé dans le sixième arrondissement de Paris, est d'une surface de 1 500 m2. Le début des travaux est prévu pour la fin de l'année 2025 et l'ouverture au public pour 2027.
Auteur : M. Damien Maudet
Type de question : Question écrite
Rubrique : Presse et livres
Ministère interrogé : Culture
Ministère répondant : Culture
Dates :
Question publiée le 25 février 2025
Réponse publiée le 17 juin 2025