Question de : M. François Ruffin
Somme (1re circonscription) - Écologiste et Social

M. François Ruffin alerte M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les défaillances de la plateforme Administration numérique pour les étrangers en France (Anef) : s'agit-il d'une fabrique numérique de sans-papiers ? Depuis 2021, le recours à la plateforme Anef est obligatoire pour une partie des demandes de titres de séjour et surtout pour leur renouvellement. Quatre ans plus tard, le déploiement de l'Anef a abouti à un naufrage administratif et numérique. Comme le montre le rapport de la Défenseure des droits de décembre 2024 : « L'Administration numérique pour les étrangers en France : une dématérialisation à l'origine d'atteintes massives aux droits des usagers », la plateforme Anef représente un véritable enfer, tant pour les familles, qui n'arrivent pas à déposer leurs papiers sur le site, que pour les salariés des préfectures qui subissent également les défaillances du logiciel. Des étrangers, jusqu'alors réguliers, tentent de renouveler leurs papiers. En vain. Eux qui vivent en France depuis des années, qui travaillent, qui payent leurs impôts, qui élèvent leurs enfants ici, vivent avec l'angoisse de redevenir des sans-papiers et se retrouvent parfois, du jour au lendemain, dans l'irrégularité. Pas parce que c'est la décision d'un tribunal, pas parce que l'État français souhaite les éloigner, mais à cause de bugs informatiques. La Défenseure des droits liste, dans son dernier rapport, des exemples de dysfonctionnements de la plateforme : « Des personnes confrontées à l'impossibilité de déposer leur demande de titre de séjour en ligne au motif que leur titre précédent n'est pas considéré par le système informatique comme ayant été remis, alors même que celui-ci l'a bien été » ; « Des personnes [qui] ne peuvent réaliser une nouvelle démarche et notamment solliciter le renouvellement de leur titre de séjour au motif - selon le message d'erreur généré par le téléservice - qu'une demande serait déjà en cours d'instruction » ; « Des personnes qui ont perdu leur mot de passe et ne peuvent le modifier, faute de recevoir le lien adéquat » ; « Des personnes [qui] indiquent qu'elles ne sont pas en mesure de consulter les demandes qui leur sont adressées par l'agent instructeur via la plateforme » ; « D'autres [qui] font état de pièces transmises mais jamais reçues par le service préfectoral » ; « Des démarches de changement d'adresse ou de demande de titre qui apparaissent bien sur leur tableau de bord Anef mais dont la préfecture n'a pas connaissance et qu'elle ne peut même pas consulter lorsqu'elle est informée directement par l'usager » ; « Des personnes [qui ne peuvent] réaliser une démarche sur l'Anef faute de pouvoir la sélectionner » sur le site. Dès lors, c'est un tsunami de réclamations. En 2024, une réclamation sur trois auprès de la Défenseure des droits concernait l'atteinte aux droits des étrangers. En quatre ans, elles ont été multipliées par 5. Et plus de 75 % de ces demandes concernent les difficultés d'accès aux services préfectoraux. Ces dysfonctionnements informatiques ont également de quoi submerger les salariés des préfectures dont le travail est dégradé, empêché et qui voient leur charge de travail exploser. Aucune surprise ici. Rien de nouveau. Depuis des années, les alertes se multiplient sur les risques de la dématérialisation de ces procédures. Jacques Toubon, l'ancien Défenseur des droits, alertait déjà en 2019 et recommandait de maintenir une alternative physique. Le Conseil d'État, dans sa décision du 3 juin 2022, rappelait aussi la nécessité d'un accompagnement humain et d'une solution de substitution à la procédure numérique. Ce calvaire informatique, à la fois pour les usagers et les fonctionnaires, est-il donc délibéré ? S'agit-il de décourager le simple renouvellement des titres de séjour ? Il lui demande s'il compte prendre des mesures pour résoudre au plus vite ces immenses difficultés. À ce jour, l'Anef est une usine à fabriquer des sans-papiers.

Réponse publiée le 3 juin 2025

La dématérialisation des procédures de demandes de titres de séjour et de documents de voyage et de circulation dans l'ANEF s'est effectuée progressivement, depuis 2020. Ce déploiement progressif a été effectué afin de répondre aux enjeux de dématérialisation et de transformation publique, mais également afin de répondre à un enjeu d'obsolescence des technologies utilisées jusqu'à présent. En parallèle des travaux sur le nouveau système d'information (SI), le SI historique doit continuer à fonctionner afin de maintenir la continuité du service. Une partie non négligeable des difficultés techniques résulte du maintien de ce SI historique. Son décommissionnement, actuellement en cours, permettra de réduire ces difficultés techniques et le déploiement des dernières fonctionnalités sur l'ANEF permettra de les résoudre durablement. Le ministère a déployé un plan d'action pour lutter contre les ruptures de droits. Ce plan s'articule autour de quatre leviers complémentaires : un volet réglementaire, un volet informatique, un volet de pilotage du réseau et un volet communication, chacun visant à minimiser les sources de fragilité identifiées suite à la mise en place de l'ANEF. Sur le volet réglementaire, le décret n° 2023-191 du 22 mars 2023 prévoit qu'une « solution de substitution prenant la forme d'un accueil physique permettant l'enregistrement de la demande » est mise en place pour les personnes qui, malgré l'accompagnement proposé par l'administration, « se trouvent dans l'impossibilité constatée d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception ou au mode de fonctionnement de celui-ci ». L'arrêté ministériel du 1er août 2023 précise les conditions de recours et les modalités de mise en œuvre de la solution de substitution. A cet effet, un réseau de Points d'Accueil Numériques (PAN) a été mis en place dans les préfectures pour renforcer l'accessibilité des services auprès des publics rencontrant des difficultés avec le numérique. Ces points d'accès sont disponibles dans toutes les préfectures et dans certaines sous-préfectures, notamment celles assurant cette mission spécifique. Les points d'accueil numériques offrent un espace équipé de matériel informatique ainsi qu'un accompagnement personnalisé, grâce à la présence de médiateurs numériques formés pour guider les usagers dans leurs démarches. Pour les territoires où les volumes de demandes sont particulièrement élevés, 44 préfectures et 8 sous-préfectures ont mis en place des points d'accueil numériques dédiés spécifiquement aux démarches de l'ANEF. Dans les autres départements, cet accompagnement est proposé au sein des PAN existants, déjà dédiés aux démarches telles que les permis de conduire et les cartes grises. En complément de cet accompagnement de proximité, le centre de contact citoyen (CCC) de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) propose un soutien téléphonique et mail pour les usagers ayant des questions ou rencontrant des difficultés dans leurs démarches en ligne. Ce centre mobilise environ 150 agents formés pour répondre aux besoins des usagers, offrant une assistance téléphonique ainsi que la possibilité de poser des questions via un formulaire en ligne. Ce service, centralisé mais accessible, garantit aux usagers un accompagnement adapté et réactif, réduisant ainsi les risques de blocage. En 2024, le centre de contact citoyens (CCC) de France Titres a transmis 4 377 signalements à la DGEF. En parallèle, 1 120 942 demandes ont été déposées sur l'ANEF. C'est donc 0,4% du volume des demandes qui aboutissent à un blocage de l'usager signalé au CCC et non résolu par celui-ci. Enfin, pour se conformer à la décision du Conseil d'État de juin 2022, un arrêté a été signé le 1er août 2023, accompagné d'une instruction adressée aux préfets. Cet arrêté précise les modalités de traitement des situations bloquantes rencontrées par les usagers de l'ANEF. Lorsqu'une difficulté technique ne peut être résolue dans un délai raisonnable, une convocation en préfecture est organisée, permettant ainsi à l'usager de déposer son dossier sous forme papier. Ce dispositif assure la continuité de l'accès aux services pour tous les usagers, même en cas d'obstacles techniques, tout en veillant à ce que le passage au numérique ne devienne pas une entrave au droit de chacun d'accéder aux services publics. Sur le volet informatique, côté agent, des ajustements techniques ont été réalisés pour renforcer les capacités de l'ANEF et ainsi réduire les risques d'interruption de droits notamment par la mise en place de dispositifs permettant aux agents de préfectures d'identifier les dossiers pour lesquels les titres arrivent prochainement à expiration. Cette capacité de priorisation vise à faciliter le traitement des demandes urgentes et renforce la continuité des droits pour les usagers. Coté usager, un système de notifications « push » est en service depuis fin avril 2024 pour rappeler aux usagers, en amont de l'échéance, les démarches à entreprendre pour le renouvellement de leurs titres permettant ainsi un accompagnement plus proactif de l'administration. Sur le volet de pilotage du réseau, le ministère renforce la coopération entre les différentes parties prenantes par une communication plus fluide entre la Direction Générale des Étrangers en France (DGEF) et les préfectures. D'importants moyens sont ainsi mobilisés pour relever le défi de la transition numérique et renforcer la qualité du service rendu à l'usager. A cet égard, l'accompagnement au bénéfice des services des préfectures a été renforcé par les services centraux par le biais notamment de « missions d'appui et de conseil » (avec un objectif de couverture de 95 % des préfectures d'ici fin 2025). Ce dispositif facilite la détection et la résolution des anomalies techniques de manière coordonnée permettant une réponse plus rapide et mieux adaptée aux difficultés rencontrées ainsi que la mise en œuvre de solutions de contournement si nécessaire. Par ailleurs, une cellule numérique du quotidien ANEF a été créé courant avril 2025 pour renforcer l'accompagnement des préfectures au changement. Cette cellule est accompagnée, dans le cadre de ses déplacements en préfectures, par une équipe technique qui prend en charge les anomalies sur place. Plusieurs déplacements ont déjà eu lieu et d'autres sont d'ores et déjà programmés. Enfin, sur le volet communication, chaque déploiement de nouvelles téléprocédures ou fonctionnalités est assorti d'un dispositif d'accompagnement renforcé à l'égard des usagers et des préfectures à différentes étapes de leur mise en service : guides et manuels divers dédiés aux préfectures (J-15), formations du CCC (j-20), Webinaires (j-10), Webinaires « retours d'expérience » (J+30 à 60). De plus la rubrique « besoin d'aide ? » du portail usager ANEF est composée de plusieurs FAQ complètes et fait régulièrement l'objet de mise à jour afin de renforcer la qualité de l'information fournie à l'usager. Par ces plans d'actions, le ministère réaffirme son engagement à garantir un accès équitable aux droits pour tous les usagers de l'ANEF.

Données clés

Auteur : M. François Ruffin

Type de question : Question écrite

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 4 mars 2025
Réponse publiée le 3 juin 2025

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