Conditions d'exercice du métier d'officier de police judiciaire
Question de :
M. Anthony Boulogne
Meurthe-et-Moselle (6e circonscription) - Rassemblement National
M. Anthony Boulogne alerte M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la dégradation des conditions d'exercice du métier d'officier de police judiciaire (OPJ) et ses conséquences sur le bon fonctionnement du système judiciaire français. L'investigation, pierre angulaire du travail de la police et premier maillon du système judiciaire, est soumise à une multiplication des contraintes : la complexification de la procédure pénale (multiplication des procès-verbaux à remplir, notamment) qui entraîne un allongement du délai de traitement ; l'obsolescence du logiciel de rédaction des procès-verbaux qui fait perdre un temps précieux aux enquêteurs. Aussi, le nombre de dossiers à traiter augmente considérablement : à flux permanent, un officier doit traiter plus d'une centaine de dossiers, en traitant en priorité les flagrants délits tandis que les autres dossiers s'accumulent. Les enquêteurs sont les premières victimes de cette surcharge de travail, forcés de réaliser des heures supplémentaires et d'empiéter sur leur temps personnel pour boucler leurs dossiers, tandis que l'allongement des délais de traitement se fait au détriment des justiciables. Ces contraintes supplémentaires s'imposent aux agents sans augmentation substantielle du nombre d'OPJ, qui s'élève aujourd'hui à 20 000, largement insuffisant pour faire face à l'augmentation du nombre de dossiers judiciaires à traiter. Selon le syndicat Alliance police nationale 54, il manquerait 44 enquêteurs pour le département de la Meurthe-et-Moselle. Un manque d'effectifs qui se fait sentir sur l'ensemble du territoire national. La dégradation des conditions d'exercice du métier a une incidence directe sur le taux d'élucidation des crimes et des délits, qui est en nette diminution sur la période 2017-2022. D'après les chiffres du ministère de l'intérieur, depuis cinq ans, le taux d'élucidation des homicides a diminué de 12 points, de 9 points pour les coups et blessures volontaires et de 8 points pour les violences sexuelles. Ainsi, l'Association nationale de police judiciaire (ANPJ), regroupant des enquêteurs, considère que le manque d'investissement dans la police judiciaire explique, en grande partie, la moindre efficacité des enquêtes judiciaire et la diminution du taux d'élucidation des crimes et délits. Les nuages s'amoncellent donc sur la profession d'enquêteur, soumise à une multitude de contraintes sans pour autant bénéficier d'effectifs ou de moyens à la hauteur. Alors que la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire prévoit la limitation de la durée des enquêtes préliminaires à deux ans, force est de constater que l'effectivité de cette disposition est mise à mal par le sous-investissement public en faveur de l'investigation en France. M. le député demande ainsi à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, quelles mesures il compte mettre en œuvre afin, d'une part, de remédier à la dégradation des conditions de travail des enquêteurs et, d'autre part, d'assurer le recrutement d'officiers de police judiciaire en nombre suffisant pour faire face à la hausse exponentielle du nombre de dossiers. Il en profite pour rappeler à M. le ministre que la situation actuelle des enquêteurs en France n'est pas tenable sur le long terme et que l'inaction du Gouvernement dans ce domaine aura des conséquences désastreuses sur le fonctionnement de la justice en France.
Réponse publiée le 3 juin 2025
La filière « investigation » traverse depuis plusieurs années une crise qui tient à plusieurs facteurs et qui se traduit principalement par la difficulté à attirer et fidéliser les policiers dans les services d'investigation, source d'une véritable « crise des vocations ». Les causes en sont multiples, mais l'alourdissement et la complexification du formalisme procédural (qui résulte notamment du droit issu de l'Union européenne et de la jurisprudence, nationale et européenne), et la technicité croissante des enquêtes qui en découle, contribuent au désintérêt pour la filière judiciaire. Plusieurs actions ont été entreprises ces dernières années pour restaurer l'attractivité des missions judiciaires : accélération du parcours de carrière pour les gradés et gardiens de la paix détenteurs de la qualification et de l'habilitation d'officier de police judiciaire, augmentation du nombre d'OPJ et meilleure répartition entre les services grâce à une « cartographie » des besoins en postes d'officier de police judiciaire, revalorisation de la prime liée à l'exercice des attributions d'officier de police judiciaire (dite « prime OPJ »), facilitation de l'obtention de la qualification d'officier de police judiciaire pour les gardiens de la paix (intégration de la formation OPJ dans la formation initiale, abaissement du délai pour l'obtention de l'habilitation OPJ), création des « assistants d'enquête » chargés de diligences de pur formalisme procédural afin de permettre aux OPJ de se concentrer sur de réels actes d'investigation, etc. La réforme de la gouvernance centrale de la direction générale de la police nationale et la réorganisation de son réseau territorial ont par ailleurs conduit à une structuration en filières métiers, l'ensemble des services de police judiciaire étant désormais placés au sein d'une filière unique. Certaines de ces mesures prennent du temps à produire pleinement leurs effets tandis que les principaux facteurs qui éloignent les agents de la filière sont toujours à l'oeuvre, notamment la complexité et le formalisme du cadre juridique. La situation reste donc tendue. La nécessité de mieux valoriser la filière « investigation » de la police nationale, d'y affecter davantage de policiers et de mieux les former est pleinement prise en compte par le ministre de l'intérieur. Lutter plus efficacement contre la délinquance et garantir aux usagers que leurs plaintes ne restent pas sans suite nécessite en effet d'apporter de réelles solutions à ce problème. Le ministre de l'intérieur est également attaché à la nécessité de redonner du sens au travail des policiers, qui attendent beaucoup sur ce plan. Il conviendra en particulier de faciliter les investigations en simplifiant l'activité de police judiciaire : il s'agit de permettre aux enquêteurs de se recentrer sur leur coeur de métier, pour le rendre plus attractif. Un chantier prioritaire visera donc à réduire le formalisme d'une procédure pénale toujours plus complexe, qui détourne les policiers d'un métier devenu trop bureaucratique. Il est essentiel également de poursuivre résolument la suppression des « missions périphériques », véritables charges indues qui pèsent sur les policiers et les démotivent. Le développement des solutions numériques dans la police nationale sera activement poursuivi afin de soulager les policiers de certaines contraintes et procédures administratives (outils en mobilité, extension du recours aux moyens de télécommunication, notamment audiovisuels, outils de retransription de la parole en texte pour certaines auditions, etc.). Les travaux en cours concernant le développement d'un nouveau logiciel de rédaction des procédures hautement performant et intuitif devraient également, à terme, répondre à plusieurs attentes de la filière judiciaire. Par ailleurs, des travaux sont menés sous l'égide de la direction nationale de la police judiciaire - chargée du pilotage de la filière - afin de promouvoir de nouveaux leviers d'attractivité : rénovation de la formation - notamment en matière de formation continue -, révision des modalités de recrutement, d'affectation et d'avancement des agents, mesures sociales spécifiques pour mieux accompagner les policiers d'une filière qui exige un investissement personnel souvent lourd et contraignant, simplification du traitement des enquêtes et notamment de celles liées à la délinquance de proximité, valorisation des métiers, etc. La gendarmerie ne connaît pas les mêmes difficultés que la police nationale en matière d'attractivité des fonctions d'officier de police judiciaire. Elle partage pour autant les mêmes contraintes, qu'elles soient en lien avec le formalisme de la procédure ou avec l'augmentation de la délinquance et de la criminalité organisée, qui n'épargne pas sa zone de compétence, notamment dans les outre-mer. La filière OPJ est attractive : elle est servie par le format rénové de la formation et des conditions d'accès, et cette formation est récompensée par la promotion au grade de maréchal des logis-chef, qui intervient le mois suivant l'attribution de la qualification. La gendarmerie compte 36 505 OPJ, dont 31 409 en gendarmerie départementale et 2 371 outre-mer, ainsi que 17 000 APJ. Une révision de la cartographie des OPJ est en cours pour optimiser leur répartition sur le territoire en fonction de la charge judiciaire. Par ailleurs, la gendarmerie développe des outils informatiques, des guides pratiques et propose des réorganisations pour simplifier le travail de ses OPJ et leur faire gagner du temps : c'est par exemple le cas des logiciels de retranscription ou de la gestion collaborative des procédures.
Auteur : M. Anthony Boulogne
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 4 mars 2025
Réponse publiée le 3 juin 2025