Mal-être agricole et difficultés de la filière
Question de :
M. Anthony Boulogne
Meurthe-et-Moselle (6e circonscription) - Rassemblement National
M. Anthony Boulogne alerte Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la hausse des signalements de situations de mal-être chez les agriculteurs. Selon les chiffres rendus publics par la mutualité sociale agricole (MSA), près de 6 000 signalements de situations de mal-être ont été traités en 2024, ce qui représente 30 % d'augmentation par rapport à l'année précédente. Ces données inquiétantes s'expliquent par deux facteurs. D'abord, la constitution d'un fort maillage territorial de « sentinelles » (environ 8 000 dans toute la France) dont le rôle est d'écouter, d'accompagner les agriculteurs dans les périodes difficiles en faisant remonter les situations d'urgence auprès des référents mal-être en agriculture présents dans chaque département. Ce maillage est placé sous l'égide d'un coordinateur national, chargé de mettre en œuvre le plan interministériel de lutte contre le mal-être agricole. Selon la MSA, deux tiers des signalements de mal-être donnent lieu à un accompagnement social (prévention de l'épuisement professionnel ; aide à la prise en charge administrative). Ce renforcement de la prise en charge des situations de détresse agricole explique, en partie, la hausse constatée des signalements auprès des services de la MSA. En partie seulement, car ces chiffres reflètent surtout la grande détresse de nombreux agriculteurs et la multiplication des situations d'urgence. La situation de son département, la Meurthe-et-Moselle, est à ce titre notable : selon les chiffres de l'Agreste, le service de la statistique et de la prospective du ministère de l'agriculture, 639 exploitations agricoles ont disparu entre 2010 et 2020, soit 23 %. Dans le détail, 61 % des élevages porcins et de volailles ; 57 % des élevages d'ovins et 24 % des élevages de bovins ont disparu en Meurthe-et-Moselle en seulement une décennie. La disparition de nombreuses exploitations agricoles va de pair avec la remise en cause de la viabilité économique des installations restantes. Ainsi, si l'on se réfère à la publication d'octobre 2024 de l'Observatoire Grand Est agricole (OGEA) : « les principaux systèmes de productions agricoles de la région voient les charges progresser de 25 à 30 % depuis 2019 ». Dans le même temps, les revenus des agriculteurs ne progressent pas suffisamment pour faire face à cette hausse des coûts : en Lorraine, les exploitants agricoles gagnent, en moyenne, entre 1 600 et 2 400 euros par mois, selon les données 2021 de l'INSEE. 16 % des agriculteurs lorrains bénéficient du régime micro-bénéfice agricole, avec des revenus avoisinant les 670 euros (603 en Meurthe-et-Moselle). Diminution du nombre d'installations, vieillissement des exploitants agricoles, hausse des charges et revenus modestes : telle est la situation de l'agriculture dans son territoire et ce constat peut être fait sur l'ensemble du territoire national. Dans ces conditions, on ne peut guère s'étonner de la progression du mal-être agricole dans le pays et il convient d'y remédier au plus vite. Il lui demande donc de lui détailler l'avancement des chantiers lancés, au niveau national et à l'échelle du département de Meurthe-et-Moselle, au titre de la feuille de route interministérielle pour la prévention du mal-être en agriculture. Il tient également à signaler que la résolution durable du problème du mal-être des agriculteurs réside dans l'amélioration de leurs conditions d'existence, la reconnaissance du caractère vital de leur métier pour la nation française et l'assurance d'un soutien sans faille de la puissance publique.
Réponse publiée le 16 septembre 2025
La question du mal-être et du risque suicidaire en agriculture a longtemps été éludée parce que tabou ; il s'agit désormais d'un fait de société pris en considération par les acteurs du monde agricole et les pouvoirs publics, qui fait l'objet d'une politique publique interministérielle. La feuille de route de la prévention du mal-être et pour l'accompagnement des agriculteurs en difficulté a été présentée le 23 novembre 2021 par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le ministre des solidarités et de la santé et le secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail. Cette feuille de route poursuit trois objectifs : humaniser, « aller vers », mais aussi prévenir et accompagner. 7 chantiers prioritaires ont été identifiés : l'accès aux droits, la résilience face aux chocs (économiques, climatiques ou sanitaires), la reconnaissance des maladies et accidents professionnels, la prévention des risques psychosociaux et l'amélioration des conditions de travail, la conciliation vie professionnelle et vie personnelle et l'accompagnement des transitions agricoles. Dans tous les départements, une cellule dédiée à la question du mal-être agricole a été déployée dès 2022. Des comités de pilotage ont été créés, placés sous l'autorité des préfets, et sont structurés autour de coordinateurs locaux des services de l'État, des acteurs de terrain (associations, vétérinaires, organismes agricoles, etc.) et des agriculteurs. Ces cellules sont appuyées par la nomination de référents au sein des cellules d'accompagnement économique (directions départementales des territoires) et social (mutualité sociale agricole). Par ailleurs, le réseau de « sentinelles » dans les territoires a été structuré et doté d'outils (guides, répertoires, brochures…) afin de permettre aux bénévoles d'améliorer leurs actions de détection auprès de ceux en situation de détresse. À la fin 2024, ce sont plus de 6 000 sentinelles qui ont été formées sur le territoire national. Enfin, les dispositifs d'accompagnement permettant aux agriculteurs de prendre le recul nécessaire en cas de fragilité ont été mobilisés dès 2022 avec le renforcement du crédit d'impôt remplacement en cas de maladie ou d'accidents du travail et sa prolongation jusqu'en 2025, l'extension par la mutualité sociale agricole (MSA) de la prise en charge de l'aide au répit et la création en 2024 d'une aide au répit administratif. Une refonte des dispositifs départementaux d'accompagnement économique des agriculteurs en difficulté (AREA), avec un élargissement des critères d'accès et un doublement du budget (7 millions d'euros par an), a permis un meilleur accès aux droits des agriculteurs. Concernant le département de la Meurthe-et-Moselle (54), depuis juillet 2022 le comité technique de prévention du mal-être agricole, dont le chef de file est la MSA Lorraine, travaille en partenariat avec la direction départementale des territoires (DDT), l'agence régionale de santé (ARS) et la chambre d'agriculture. Cet organe opérationnel se réunit environ 4 fois par an et il rend compte de la déclinaison locale de la feuille de route au comité plénier placé sous l'égide du préfet. Cette gouvernance a permis d'élaborer un diagnostic local et de fixer des axes prioritaires notamment sur le renforcement du réseau des sentinelles et les modalités de communication sur la prévention du mal-être agricole. Des outils de communication sur la prévention et l'accompagnement du mal-être agricole ont été créés (plaquette, autocollant, carte de visite…) et diffusés à l'ensemble des membres du comité plénier. En 2024, en Meurthe-et-Moselle, la MSA Lorraine a pris en charge 29 signalements en 2023 et 40 nouveaux signalements en 2024, soit une augmentation de 33 %. Cette hausse des signalements est en partie due à une détection toujours plus efficace, notamment portée par les acteurs de la détection, dont essentiellement des sentinelles agricoles, ainsi qu'à une meilleure connaissance des dispositifs de prévention, notamment la plateforme Agri'écoute, sur laquelle le nombre d'appels a augmenté de 14 % entre 2023 et 2024.
Auteur : M. Anthony Boulogne
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture, souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture, souveraineté alimentaire
Dates :
Question publiée le 18 mars 2025
Réponse publiée le 16 septembre 2025