Manque d'accessibilité de la justice pour les personnes sourdes/malentendantes
Question de :
M. Loïc Prud'homme
Gironde (3e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Loïc Prud'homme alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le manque d'accessibilité de la justice pour les personnes sourdes ou malentendantes. Pour les personnes sourdes ou malentendantes, la justice représente encore trop souvent une zone de non-droit. M. le député a été interpellé au sein de sa circonscription par des professionnels du secteur au sujet de discriminations dont ont été victimes des personnes sourdes ou malentendantes dans le cadre de procédures judicaires, telles que des refus de dépôt de plainte ou de faire appel à un interprète par des policiers ou des juges n'étant pas informés de l'existence d'un droit à l'assistance en langue de signes françaises prise en charge par l'État. Ce droit est pourtant clairement établi par le premier alinéa de l'article 76 de la loi « handicap » de 2005 qui stipule que « devant les juridictions administratives, civiles et pénales, toute personne sourde bénéficie du dispositif de communication adapté de son choix. Ces frais sont pris en charge par l'État ». Ce manque d'information des agents et parfois des personnes sourdes et malentendantes elles-mêmes entraînent des situations de non-recours ou d'entrave à leurs droits d'accès à la justice et au plein exercice de leur citoyenneté. À ce manque de formation des agents concernant leur obligation d'assurer un accès à un interprète à toute personne sourde en ayant fait la demande, s'ajoute un manque de moyens financiers pour garantir l'effectivité de ce droit. En effet, M. le député a été alerté sur les pratiques de la cour d'appel de Bordeaux, qui est en charge des paiements des interventions des experts judiciaires, parmi lesquels les experts interprètes français/langue des signes française, qui ne délivre plus aucun paiement depuis le mois de juillet 2023 du fait de l'épuisement de leur budget dédié à cette date. Face à ce retard chronique de paiement de leurs prestations, de nombreux interprètes décident de ne plus intervenir dans le cadre de la justice. Ce manque de moyens financiers entraîne des conséquences graves pour les personnes sourdes et malentendantes qui risque de ne plus pouvoir disposer d'aucun interprète pour traduire leurs audiences au tribunal ou auditions de police ou gendarmerie, victimes ou mis en cause, jusqu'à la fin de l'année 2023. M. le député interroge donc M. le ministre sur les mesures qu'il entend mettre en œuvre pour garantir le plein accès à la justice pour les personnes sourdes ou malentendantes sur l'ensemble du territoire national. Il souhaiterait connaître en particulier les mesures qu'il entend mettre en œuvre pour assurer la bonne formation des agents et l'investissement de moyens financiers à la hauteur de cet enjeu fondamental d'égalité des droits pour l'ensemble des concitoyens.
Réponse publiée le 8 avril 2025
Le ministère de la justice prend en compte la surdité dans le code de l'organisation judiciaire qui dispose à l'article L.111-2 que les « services publics de la justice concourt à l'accès au droit et assure un égal accès à la justice ». Dès la publication de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et de son article 76, le ministère a pris les textes d'application nécessaires, tant dans le cadre de la procédure pénale que de la procédure civile. Le droit à un interprète en langue des signes ou en langage parlé complété au cours d'une procédure judiciaire tant en matière pénale qu'en matière civile est garanti. Des dispositions spécifiques sont mises en œuvre et des droits particuliers sont reconnus aux personnes atteintes de surdité, qu'elles soient victimes, au terme de l'article 10-2 7° du code de procédure pénale (CPP), dès le stade de leur dépôt de plainte, ou mise en cause, et ce à tous les stades de la procédure comme cela résulte de l'article préliminaire du CPP. L'assistance d'un interprète, en l'espèce en langue des signes, est ainsi possible. En matière pénale, il convient de rappeler que le recours à un interprète est incontournable uniquement si aucun autre mode de communication ne peut être utilisé avec le prévenu, le code de procédure pénale prévoyant également le recours à tout dispositif technique ou la possibilité de communiquer avec lui par écrit lorsque le prévenu sait lire et écrire. Des bonnes pratiques prenant en compte la surdité au cours de procès d'assises, tant à Amiens qu'à Melun en 2020 et 2021, ont également été valorisées au niveau national par le ministère, afin que l'ensemble des juridictions puisse s'en inspirer dans les affaires qui le justifient. C'est par exemple le cas de l'utilisation des écrans de la salle d'audience - habituellement destinés aux experts pour diffuser des schémas et photographies - pour afficher en temps réel les sous-titres des échanges entre parties grâce au travail de deux transcriptrices placées au fond de la salle, à l'aide d'un logiciel s'appuyant sur la reconnaissance vocale et permettant d'écrire jusqu'à 250 mots par minute. En matière civile, si l'une des parties est atteinte de surdité, le juge désigne un interprète à l'issue d'une procédure sommaire par une décision insusceptible de recours (art. 23-1 du code de procédure civile). La législation sur la protection juridique des majeurs contient des dispositions complémentaires visant à assurer la protection des majeurs protégés dans le cadre des procédures pénales et civiles. Par exemple l'intervention du curateur et du tuteur à tous les stades de la procédure facilite la communication avec le majeur protégé atteint de surdité. Concernant les moyens financiers, le ministère de la justice attache une importance particulière à la situation des interprètes-traducteurs, acteurs indispensables au bon déroulement des procédures judiciaires. Si le rythme de la dépense en matière de frais de justice peut être infléchi par le volume de mémoires mis en paiement, ce qui peut influer sur la temporalité de certains versements, les 242 879 mémoires en matière d'interprétariat et de traduction mis en paiement au cours de l'année 2024 (chiffres arrêtés au 28/11/2024) ont été réglés en moyenne dans un délai de 61 jours. Des formations spécifiques assurent l'effectivité des droits des personnes atteintes de surdité. Les magistrats et les fonctionnaires de greffe bénéficient en effet d'un module orienté sur l'accueil des personnes handicapées et le recueil de la parole dans le cadre de leur formation initiale. De plus, des formations obligatoires relatives au corpus juridique français sur le handicap, dont la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ratifiée en 2010, sont dispensées aux magistrats en charge des enfants, des affaires familiales, des tutelles et de la protection des majeurs ou par les directeurs des services de greffe prenant la direction de services d'accueil. L'Ecole nationale de la magistrature (ENM) mène également des actions de formation continue des magistrats, à l'instar du module intitulé « justice et handicap » proposé depuis 2021. Plus largement, les actions de formation, proposées par l'ENM au titre de la formation initiale et continue, relatives à l'accueil et la prise en charge spécifique des personnes en situation de handicap sont organisées autour de 3 grands thèmes : identifier le handicap ; connaître les dispositifs juridiques applicables ; accompagner les personnes en situation de handicap. Les agents des accueils des juridictions sont sensibilisés à la langue des signes française. 131 agents ont reçu une formation de 4 jours en 2023. Dans le cadre d'un partenariat depuis 2017 avec l'association Droit Pluriel, sous l'égide du Défenseur des droits et en lien avec le conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), une mallette pédagogique (livret de formation, guide pratique et trois courts-métrages dont un sur la surdité) à destination de toutes les écoles formant les professionnels du droit a été livrée en 2020. Cette mallette (qui traite du handicap en général) est également présentée et commentée depuis 2021 par l'association Droit Pluriel dans le cadre de « tournées handicap et justice » d'une demi-journée, en partenariat avec l'ENM, dans les cours d'appel et grands tribunaux (18 cours d'appel et tribunaux visités à ce jour). L'association Droit Pluriel a également en 2022, en association avec le ministère de la justice et la fondation pour l'audition, produit un guide « rendre le droit accessible aux sourds et malentendants » accompagné de deux courts-métrages. Cette mallette pédagogique et ces « tournées », ainsi que le guide sur la surdité, sont à destination de tous les professionnels du droit et en particulier les personnels des 3 029 point-justice répartis sur l'ensemble du territoire, dont 895 sont implantés au sein des France services qui accueillent et renseignent les usagers. Les point-justice disposent, de surcroît, de formations sur le handicap dispensées par Droit Pluriel. Il s'agit de formations générales (en lien avec la mallette pédagogique) ou spécifiques, comme celle sur la surdité créée en 2023. Les point-justice disposent également d'un numéro téléphonique unique (le 3039-NUAD : numéro unique de l'accès au droit) qui est mis en accessibilité pour les personnes sourdes et malentendantes via le système Acceo, tout comme le numéro unique d'aide aux victimes (111006) et le numéro contact justice.fr. Les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), dont relèvent les point-justice, mettent aussi progressivement en place des permanences gratuites d'accès au droit en langue des signes ou des partenariats avec la permanence juridique et sociale de Droit Pluriel « Agir handicap » qui a été créée par l'association Droit Pluriel en association avec le ministère et qui est totalement accessible. Tenue par des juristes et des avocats spécialisés, elle permet notamment aux aidants et personnes en situation de handicap de connaître et faire valoir leurs droits. Enfin, la plateforme publique collaborative sur l'accessibilité des établissements recevant du public « AccesLibre » ouverte en 2020, recense d'ores et déjà 518 sites judiciaires.
Auteur : M. Loïc Prud'homme
Type de question : Question écrite
Rubrique : Personnes handicapées
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 8 avril 2025