Loi relative à la sécurité publique dite « loi Cazeneuve » de 2017
Question de :
M. Aurélien Saintoul
Hauts-de-Seine (11e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Aurélien Saintoul interroge M. le ministre de l'intérieur sur la loi dite « Cazeneuve » de 2017. Cette loi relative à la sécurité publique, a pour objectif d'assouplir les règles sur l'usage des armes à feu pour les policiers. Les policiers ont désormais la possibilité d'utiliser leurs armes « en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée », notamment dans le cas d'un refus d'obtempérer, si le conducteur est susceptible de porter atteinte à la vie ou à l'intégrité physique du policier ou d'autrui. Dans une étude statistique de la revue Esprit de septembre 2022, un constat se dresse : entre la période 2012-2016 et 2017-2021 « les tirs de policiers mortels sur les véhicules en mouvement ont été multipliés par cinq ». Ainsi, entre mars 2017 et octobre 2022, 25 personnes sont mortes en France pour des refus d'obtempérer, tandis que pour la période de juillet 2011 à février 2017, seulement quatre personnes sont mortes dans les mêmes circonstances. Dans le même temps, le sociologue Sebastian Roché affirme qu'en Allemagne il n'y a eu qu'un seul tir mortel en 10 ans pour refus d'obtempérer. Dans ce pays, la législation sur l'utilisation de l'arme de service pour les policiers dans ce type de situations est davantage restrictive. Il souhaite donc savoir quelle interprétation il donne de ce décalage considérable et s'il considère satisfaisante cette statistique qui contribue à reléguer la France dans le bas du tableau des nations développées en matière de respect des droits humains.
Réponse publiée le 3 décembre 2024
L'appréciation d'une France « relégu[ée] dans le bas du tableau des nations développées en matière de respect des droits humains », comme jugé dans la question écrite, ne résiste pas à une analyse même sommaire de droit comparé international et a fortiori à une évaluation du respect concret des droits de l'homme parmi les nations. Ce jugement ne correspond ni à la réalité du cadre juridique français ni surtout à l'éthique et au professionnalisme des policiers et des gendarmes, par ailleurs soumis au contrôle de nombreuses autorités et instances (corps d'inspection, autorité judiciaire, etc.) - dont la question fait peu de cas. L'usage des armes à feu relève d'un cadre juridique pour l'essentiel fixé par le législateur, dont celui issu de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, qui a défini un régime désormais commun aux policiers et aux gendarmes. L'usage des armes à feu est autorisé seulement lorsque les conditions légales, définies dans le Code de la sécurité intérieure et le Code pénal, sont réunies : notamment pour la légitime défense et l'état de nécessité. Quel qu'en soit le fondement juridique, il est soumis aux principes d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité. Contrairement à une idée trop fréquemment relayée, le nombre de tirs des policiers en cas de refus d'obtempérer est relativement stable. Pour la seule police nationale, on recense 116 tirs sur des véhicules en mouvement en 2012, 137 en 2016, 202 en 2017, 153 en 2020, 157 en 2021 et 138 en 2022. En 2023, 79 emplois de l'arme individuelle en direction de véhicules en mouvement ont été comptabilisés, soit une baisse de plus de 40 % en un an. Rapportés au nombre de refus d'obtempérer commis chaque année, ces tirs ne concernent qu'environ 1 % des situations de refus d'obtempérer. De 2016 à 2023, les forces de sécurité intérieure de l'État ont constaté en moyenne 25 700 délits de refus d'obtempérer routiers par an. Il convient donc de relever une utilisation raisonnée des moyens potentiellement létaux mis à la disposition des policiers, limitée aux circonstances dans lesquelles ils perçoivent un risque pour leur intégrité physique ou celle d'autrui. L'utilisation d'armes sur des véhicules en mouvement ou sur leur conducteur est d'ailleurs interdite, sauf dans les cas expressément prévus par la loi, particulièrement restrictifs (art. L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, articles 122-5 et 122-7 du code pénal). Dans l'immense majorité des cas, ces tirs sont effectués au titre de la légitime défense, donc dans un cadre juridique bien antérieur à la loi du 28 février 2017. Il doit également être rappelé que les forces de l'ordre peuvent faire usage de dispositifs mécaniques d'interception des véhicules, qui n'impliquent donc pas l'usage de l'arme à feu. Au-delà des refus d'obtempérer, il paraît utile de souligner que, dans la police nationale, le nombre d'usages opérationnels de l'arme individuelle (y compris les tirs sur des véhicules en mouvement) est relativement stable. Il était de 227 en 2012, de 255 en 2022 et de 161 en 2023. Environ 60 % de ces tirs concernent des véhicules en mouvement, soit une proportion stable au fil des ans. S'agissant du nombre de décès survenus dans le cadre d'opérations de police (et pas uniquement les situations de refus d'obtempérer), c'est en 2018 que la police nationale s'est dotée d'un outil permettant de comptabiliser le nombre de particuliers blessés ou décédés à l'occasion d'une mission de police. À l'initiative de certains organismes nationaux ou internationaux de défense des droits de l'homme, des chiffres établis à partir de méthodologies approximatives et donnant lieu à des interprétations biaisées étaient en effet régulièrement diffusés, et le sont encore parfois. Ces estimations chiffrées, relayées par certaines associations militantes et reprises par les médias, sont souvent prétexte à contester la légitimité de l'État et de l'action des forces de l'ordre à partir d'une équation erronée qui consiste à amalgamer l'usage de la force physique ou armée avec un usage illégitime de la force. Le nombre de décès survenus en opérations de police est au cours des dernières années le suivant : 17 décès en 2018, 19 décès en 2019, 32 décès en 2020, 37 décès en 2021, 38 décès en 2022 et 36 décès en 2023. Ces décès ne sont pas nécessairement liés à l'usage d'une arme (6 décès sur 36 en 2023). Ils résultent de diverses situations : état de santé, suicide, etc. Le nombre de décès à la suite de tirs effectués par des policiers sur des véhicules en mouvement est relativement stable : il varie en moyenne entre 2 (en 2020) et 3 (en 2023). L'année 2022 a été atypique avec 16 décès. L'administration ne dispose pas de données chiffrées fiabilisées pour les années antérieures. Les refus d'obtempérer doivent être combattus, sans complaisance ni excuse, avec la plus extrême sévérité. Ils témoignent de la dégradation du respect de l'autorité, notamment de celle de l'État, mais aussi d'autres phénomènes : conduite sans permis ou sans assurance, consommation de drogue ou d'alcool… Ce sont des révélateurs du contexte de violence et d'irrespect dans lequel policiers et gendarmes, de plus en plus, interviennent. Chaque année plusieurs d'entre eux sont blessés, dans certains cas mortellement. Les auteurs de ces faits mettent aussi en danger les autres usagers de la route. Il s'agit d'une manifestation de l'incivisme et de la délinquance du quotidien que nos concitoyens ne supportent plus. Près d'un refus d'obtempérer routier sur cinq est un délit aggravé qui expose directement d'autres personnes à un risque de mort ou d'infirmité. En 2023, 90 % de ces refus d'obtempérer aggravés mettaient en danger des usagers de la route. Le ministre de l'Intérieur a engagé des travaux pour trouver les voies d'une action plus ferme, plus efficace, à l'encontre des refus d'obtempérer.
Auteur : M. Aurélien Saintoul
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 3 décembre 2024