Pourquoi avoir épargné à Vivendi une amende de 320 millions d'euros ?
Question de :
M. Aurélien Le Coq
Nord (1re circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Aurélien Le Coq interroge Mme la ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics sur l'abandon par l'administration fiscale des poursuites à l'égard de Vivendi. Selon un article du Canard enchaîné du 26 mars 2025, Vivendi, propriété du groupe Bolloré et du milliardaire Vincent Bolloré, aurait profité du renoncement par le fisc d'une pénalité de 320 millions d'euros. En 2004, Vivendi cède sa filiale Vivendi Universal Entertainment à General Electric pour 8 milliards d'euros, dont 5 milliards payés en actions comptabilisées comme « titres de portefeuille ». À la revente de ces titres, Vivendi enregistre une perte de 2,4 milliards d'euros, inscrite en déficit reportable, permettant une économie de 800 millions d'euros sur les impôts futurs. Cependant, selon le fisc, ces actions n'étaient pas des titres portefeuille mais de simples « titres de participation » ne donnant pas droit à une déduction des pertes. Compte tenu de la maîtrise de la législation fiscale par Vivendi, l'administration a considéré qu'il s'agit d'une « erreur délibérée » et pénalisé le groupe à hauteur de 40 % du montant d'impôt évité : soit une amende de 320 millions d'euros. Dans cet article, il apparaît toutefois que l'administration a renoncé à cette pénalité. À ce jour, ni l'administration ni le ministère n'ont apporté de réponse à cette question simple : à l'heure où le Gouvernement organise l'austérité dans les services publics et fait les poches des plus pauvres, pourquoi avoir abandonné le recouvrement d'une pénalité de 320 millions d'euros prise à l'égard d'un groupe fraudant délibérément le fisc ? Il souhaite connaître la réponse à cette question.
Réponse publiée le 3 juin 2025
En 2004, la société Vivendi a cédé sa participation dans la société Vivendi Universal Entertainment à la société National Broadcasting Company Universal (NBCU) pour 8 milliards d'euros dont 4,929 milliards d'euros ont été payés sous la forme de titres NBCU. Vivendi, qui détenait alors 20 % du capital de la société NBCU a inscrit ces titres au bilan de son exercice clos en 2006 dans un compte de titres de participation. En 2008, Vivendi a estimé avoir commis une erreur lors de l'inscription initiale des titres en 2006 et a modifié la catégorie de ces titres en les reclassant comptablement en « titres immobilisés de l'activité du portefeuille-TIAP » (titres de placement). Vivendi a ensuite constaté, entre 2008 et 2011, une provision pour dépréciation puis une moins-value de cession sur les titres NBCU pour un montant total de 2,4 milliards d'euros. L'inscription en TIAP lui a permis de déduire fiscalement cette perte. A l'issue de plusieurs contrôles fiscaux, l'administration fiscale a remis en cause la déduction de cette moins-value. L'administration fiscale a ainsi estimé, d'une part, que les titres NBCU devaient recevoir, comptablement, la qualification de titres de participation et, d'autre part, que Vivendi ne pouvant ignorer que ces titres répondaient bien à la définition des titres de participation, le reclassement de 2008 constituait ainsi un manquement délibéré passible d'une pénalité de 40 %. Toutefois, la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, saisie du litige à la demande de Vivendi a émis un avis défavorable à la thèse de l'administration tant sur le fond que sur la pénalité appliquée. À la suite de cet avis, dès lors que la qualification comptable des titres NBCU était empreinte d'une grande incertitude juridique, l'administration fiscale a décidé de maintenir les rectifications sur le fond mais a abandonné, en droit, la pénalité de 40 %. En effet, l'administration doit démontrer le caractère délibéré du non-respect de la règle fiscale par l'entreprise. Le juge de l'impôt considère que l'incertitude et la complexité des règles ne permettent pas de caractériser un manquement délibéré (ex : CAA Paris, 11 avril 2024, n° 22PA03869). L'abandon de la pénalité de 40 % n'est par ailleurs pas constitutif au cas d'espèce d'un dégrèvement car cette décision de l'administration a été prise avant l'étape de la mise en recouvrement. En outre, il convient de souligner que le groupe Vivendi disposait, au titre de la période vérifiée, d'un stock de déficits fiscaux supérieur à la rectification de 2,4 milliards d'euros de sorte que la rectification ne s'est traduite par aucun supplément d'impôt sur les sociétés mais par une réduction, à due concurrence, du stock de déficit reportable dont disposait le groupe fiscal. Dans ces conditions, le maintien de la pénalité n'aurait, en tout état de cause, eu aucune conséquence financière sur les années vérifiées. En effet, la législation ne permet pas le recouvrement de pénalités tant que les résultats sont déficitaires. Enfin, si la décision du Conseil d'État du 12 mars 2025 (instance n° 491714) est favorable à l'administration, elle ne confirme pas le motif initial du redressement qu'avait proposé l'administration fiscale. Ce dernier reposait comme on l'a dit sur la qualification de titres de participation. Or le Conseil d'État juge que les titres étaient des titres de placement, ainsi que le soutenait la requérante. Si l'administration préserve néanmoins son redressement au terme de cette décision, c'est qu'elle a proposé au juge, en cours de procédure juridictionnelle, une substitution de base légale au rehaussement initial en faisant valoir que la première inscription comptable des titres (en tant que titres de participation) opérée par Vivendi en 2006 était une erreur délibérée. Lorsqu'une erreur est commise de manière délibérée, il ne s'agit en effet plus d'une véritable « erreur » de sorte que l'entreprise ne pouvait plus la corriger. Le rapporteur public avait quant à lui estimé que les titres étaient des titres de participation. Au total, l'administration fiscale a réussi, dans le respect du contradictoire, à préserver un montant en base d'imposition de 2,4Mds d'euros au terme d'un contentieux complexe.
Auteur : M. Aurélien Le Coq
Type de question : Question écrite
Rubrique : Impôts et taxes
Ministère interrogé : Comptes publics
Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Dates :
Question publiée le 1er avril 2025
Réponse publiée le 3 juin 2025