Question écrite n° 6706 :
Protection des comédiens de doublage face à l'intelligence artificielle

17e Législature

Question de : Mme Delphine Lingemann
Puy-de-Dôme (4e circonscription) - Les Démocrates

Mme Delphine Lingemann attire l'attention de Mme la ministre de la culture sur la nécessité de protéger les comédiens de doublage face à l'essor de l'intelligence artificielle, en modernisant le cadre réglementaire historique qui régit le secteur, un enjeu vital pour l'exception culturelle française. Depuis plusieurs mois, les professionnels se mobilisent massivement pour défendre leur métier, à l'image du collectif #TouchePasMaVF et de sa pétition signée par plus de 150 000 citoyens. Cette mobilisation, renforcée par des manifestations à Paris et des négociations urgentes avec les plateformes, traduit une inquiétude croissante face au remplacement progressif des voix humaines par des synthèses vocales générées par IA, une menace illustrée par la récente reproduction posthume de la voix d'Alain Dorval via des algorithmes. Depuis plus de soixante ans, le décret n° 61-645 du 7 juin 1961 impose que le doublage des œuvres cinématographiques internationales destinées au marché français soit réalisé sur le territoire national. Si cette exigence visait initialement à garantir une qualité artistique et à soutenir la filière professionnelle, ce cadre réglementaire s'avère aujourd'hui obsolète face aux défis technologiques actuels. En effet, rien dans le décret ne précise que ce doublage doit être effectué par des comédiens humains. Cette lacune permet désormais à des studios étrangers implantés en France de se conformer à la lettre du texte tout en ayant recours à des voix de synthèse générées par IA. Ce contournement, autorisant des solutions automatisées sans exigence de qualité ni respect des droits des artistes, représente une triple menace : pour l'emploi, la diversité artistique et l'authenticité des œuvres diffusées. Or le doublage français incarne un savoir-faire culturel unique, garant à la fois de la vitalité de la langue et du patrimoine audiovisuel. L'utilisation croissante de l'IA dans ce domaine risquerait non seulement d'appauvrir la qualité émotionnelle des œuvres, comme en témoignent les alertes de figures emblématiques telles que Brigitte Lecordier (voix de Son Goku), mais aussi de déstabiliser un secteur économique contribuant significativement à l'emploi et au rayonnement international de la création française. Face à cette urgence, les professionnels réclament une révision du décret afin d'y inscrire explicitement l'intervention obligatoire de comédiens professionnels pour tout doublage réalisé en France ou au sein de l'espace européen, en excluant strictement toute synthèse vocale automatisée. Aussi, elle souhaite savoir si le Gouvernement envisage de modifier le décret n° 61-645 pour y inclure une obligation de doublage humain réalisé par des comédiens dans des studios situés en France, afin de préserver les emplois, garantir la qualité des productions audiovisuelles et défendre le patrimoine culturel dans le contexte de développement de l'intelligence artificielle.

Réponse publiée le 10 juin 2025

Les comédiens de doublage participent, au travers de leurs interprétations fines des œuvres, à la richesse culturelle de la France ; le public français est d'ailleurs très attaché aux œuvres en version doublée. Si l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) n'est pas nouvelle dans le secteur audiovisuel et cinématographique, la période actuelle est celle d'une intensification très forte de son utilisation. Cette intensification, qui touche le secteur du doublage, soulève des préoccupations légitimes, tant en matière de protection des droits des artistes-interprètes que d'évolution des métiers et des emplois. Pour y répondre, un certain nombre de mesures et d'actions ont déjà été mises en œuvre aux niveaux national et européen. En premier lieu, un travail d'objectivation des évolutions des usages a été mené par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Ce dernier a ainsi mis en place un observatoire de l'IA conduisant à la publication, en juin dernier, d'une étude permettant de mieux comprendre les utilisations actuelles de l'IA par les professionnels de la filière et la perception par ces derniers de ses impacts sur les métiers et les emplois. Elle présente l'état d'adoption des technologies de l'IA pour le secteur du doublage, et les opportunités et défis qui y sont attachés, notamment s'agissant du développement de voix numériques et de la synchronisation labiale. Deux nouvelles notes de conjoncture sont prévues en 2025 ; l'une portant sur les « storyboarders », l'autre très spécifiquement sur les doubleurs. Enfin, un état des lieux des formations IA dans la filière vient aussi d'être lancé. Deuxièmement, compte tenu des évolutions que cette intensification entraîne en matière de métiers et d'emploi, le ministère de la culture s'est engagé pour encourager toutes discussions entre les professionnels concernés. Celles-ci devraient faciliter la mise en place de pratiques vertueuses, permettant de placer les outils numériques au service de la création humaine et de pourvoir aux besoins de formation. Les services du ministère et le CNC sont en lien permanent avec le secteur du doublage, dont les représentants ont été reçus à plusieurs reprises. Enfin, le règlement européen sur l'intelligence artificielle (RIA) de 2024 a permis de marquer un premier jalon en matière de régulation de l'IA. En application de celui-ci, les contenus de synthèse générés par IA doivent faire l'objet d'un marquage. Par ailleurs, les fournisseurs d'IA doivent se doter d'une politique de respect du droit d'auteur, et ce compris les droits voisins des artistes-interprètes, et publier un résumé détaillé des sources qu'ils utilisent pour entraîner leurs modèles. Pour permettre aux auteurs et artistes-interprètes de comprendre effectivement comment et à quelles fins les œuvres qu'ils concourent à créer sont utilisées pour entraîner l'intelligence artificielle générative, ces avancées doivent désormais être concrétisées dans les textes d'application de ce règlement. C'est la raison pour laquelle le ministère de la culture a confié au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique deux missions, dont les conclusions viennent d'être publiées ou sont sur le point de l'être. La première a vocation à peser au niveau européen sur les modalités de mise en œuvre de l'obligation de transparence prévue par le RIA afin de s'assurer qu'elle permette aux auteurs et aux artistes-interprètes de disposer des informations indispensables à l'exercice des droits. La seconde, plus prospective, étudie la façon dont l'utilisation des contenus culturels par les modèles d'IA pourrait être rémunérée.

Données clés

Auteur : Mme Delphine Lingemann

Type de question : Question écrite

Rubrique : Audiovisuel et communication

Ministère interrogé : Culture

Ministère répondant : Culture

Dates :
Question publiée le 20 mai 2025
Réponse publiée le 10 juin 2025

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