Question écrite n° 6778 :
Dématérialisation des demandes de titre de séjour

17e Législature

Question de : M. Emmanuel Fernandes
Bas-Rhin (2e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Emmanuel Fernandes attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les graves et massives ruptures de droit engendrées par la dématérialisation des demandes de titres de séjour via la plateforme de l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). Depuis la mise en place de cette plateforme, de nombreuses associations ainsi que Le Défenseur des droits ont alerté à plusieurs reprises sur les atteintes aux droits que provoque cette dématérialisation. Si les objectifs initiaux du programme ANEF - tels que la simplification des démarches administratives, la facilitation de l'enregistrement des demandes ou la fluidification du traitement des dossiers - sont louables, les résultats concrets s'éloignent largement de ces ambitions. L'ANEF a, au contraire, contribué à complexifier l'accès aux démarches et à marginaliser davantage les personnes étrangères. Le rapport du Défenseur des droits « L'Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) : une dématérialisation à l'origine d'atteintes massives aux droits des usagers », datant du 11 décembre 2024, souligne des défaillances très récurrentes, notamment des cas de personnes confrontées à l'impossibilité de déposer leur demande de titre de séjour en ligne du fait de bugs techniques persistants. Entre 2020 et 2024, le nombre de réclamations reçues par le Défenseur des droits en matière de droit des étrangers a augmenté de 400 %. Les principaux concernés sont des étrangers et étrangères vivant déjà en France et sollicitant le renouvellement de leur titre de séjour. Ces démarches deviennent souvent inaccessibles, entraînant des ruptures de droits graves, telles que la perte du droit de travailler ou la perte d'accès aux prestations sociales (CAF). Les dispositifs d'aide mis en place tels que les points d'accueil numérique (PAN) ou le centre de contact citoyen (CCC) se révèlent largement inefficaces dans la résolution des dysfonctionnements. Une enquête de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) alerte sur le fait que 82 % des personnes ayant sollicité le CCC « estiment ne pas avoir reçu d'aide concrète de sa part, celui-ci apportant des réponses stéréotypées et ne pouvant agir sur les dysfonctionnements techniques ». En outre, les demandes de prises de rendez-vous en préfecture sont entravées par une saturation des plannings. Le Défenseur des droits le souligne en précisant que les saisines du Défenseur des droits ou du juge des référés demeurent trop souvent des voies préalables nécessaires à l'octroi d'un rendez-vous en préfecture. Les agents préfectoraux, en sous-effectif et déjà confrontés à un contexte de travail très dégradé, se retrouvent en première ligne pour gérer les conséquences de ces dysfonctionnements. Selon M. Antoine Goffinet, secrétaire du syndicat Force ouvrière de la préfecture du Bas-Rhin, « en près de dix ans, une cinquantaine de postes ont été supprimés à la préfecture, soit 10 % de l'effectif ». Faute de moyens suffisants, les agents doivent former du personnel temporaire peu qualifié, ce qui alourdit encore leur charge de travail sans garantir une amélioration de l'accueil ou de l'accompagnement des usagers. Dans une décision du 3 juin 2022, le Conseil d'État a pourtant rappelé que le dépôt d'une demande de titre de séjour via l'ANEF ne pouvait être imposé qu'à la condition de garantir un accès normal au service ainsi que l'effectivité des droits. Il en découle l'obligation de proposer une solution de substitution lorsque le dépôt en ligne est impossible. Cependant, cette exigence reste, à ce jour, très insuffisamment mise en œuvre. Au regard de ces constats, il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend mettre en place pour remédier aux dysfonctionnements de l'ANEF, garantir un accès effectif aux droits de personnes étrangères et assurer la pleine application des recommandations du Défenseur des droits et du Conseil d'État.

Réponse publiée le 4 novembre 2025

La dématérialisation des procédures de demande de titre de séjour, de document de voyage et de circulation dans l'administration numérique des étrangers en France - ANEF s'est effectuée progressivement, depuis 2020. Ce déploiement progressif a été effectué afin de répondre aux enjeux de dématérialisation et de transformation publique, mais également afin de répondre à un enjeu d'obsolescence des technologies utilisées jusqu'à présent. En parallèle des travaux sur le nouveau ce système d'information, l'AGDREF doit continuer à fonctionner afin de maintenir la continuité du service. Une partie non négligeable des difficultés techniques résulte du maintien de ce système d'information historique. Son décommissionnement, actuellement en cours, permettra de réduire ces difficultés techniques et le déploiement des dernières fonctionnalités sur l'ANEF permettra de les résoudre durablement. Dans l'attente de la résolution des points évoqués, le ministère de l‘intérieur a déployé un plan d'actions pour lutter contre les ruptures de droits. Ce plan s'articule autour de quatre leviers complémentaires. Un volet réglementaire, un volet informatique, un volet de pilotage du réseau et du renforcement des moyens humains et un volet communication, chacun visant à minimiser les sources de fragilité identifiées suite à la mise en place de l'ANEF. Sur le volet réglementaire, à la suite de la décision du Conseil d'Etat du 3 juin 2022, une procédure de prise en charge des usagers bloquées sur l'ANEF a été mise en place par la direction générale des étrangers en France - DGEF et le centre de contact citoyens - CCC. Les usagers concernés se signalent auprès du CCC en indiquant les entraves manifestes du dépôt de la demande, puis sont pris en charge par les équipes de la DGEF, en lien avec la préfecture territorialement compétente afin qu'une solution alternative au dépôt dématérialisé leur soit proposée rapidement. En 2024, le centre de contact citoyens de France Titres a transmis 4 377 signalements à la DGEF. En parallèle, 1 120 942 demandes ont été déposées sur l'ANEF. Les signalements non résolus par le CCC représentent donc 0.4 % du volume des demandes. Lorsque le blocage technique est constaté en préfecture et signalé par le point d'accueil numérique (PAN), l'usager est également systématiquement orienté vers une solution alternative au dépôt en ligne. Par ailleurs, une circulaire du 4 août 2023 a été diffusée à l'ensemble des préfectures afin de leur donner des orientations claires sur le double circuit (point d'accueil numérique et centre de contact citoyen) qui s'offre à l'usager en cas de blocage technique dans le dépôt de la demande dans l'ANEF. Enfin, l'instruction du 4 août 2024 recommande de subordonner l'accès au point d'accueil numérique (PAN) à une prise de rendez-vous préalable pour pouvoir qualifier les demandes et organiser la mise à disposition des agents du service des étrangers, notamment dans le but de fournir un accompagnement « métier ». La majorité des structures proposent deux à trois modes de prise de rendez-vous en point accès numérique (PAN) ANEF : par téléphone, à l'accueil général de la préfecture, ou sur internet via un module de rendez-vous ou une adresse courriel dédiée de la préfecture. Sur le volet informatique, côté agents, le téléservice de l'ANEF comporte plusieurs fonctionnalités destinées à prévenir les ruptures de droits. Le système d'information facilite la possibilité pour les encadrants d'identifier les situations présentant un caractère d'urgence et d'en prioriser le traitement. Ce dispositif a été complété en août 2024, par la mise en service de filtres avancés, permettant à l'ensemble des agents d'identifier les étrangers demandeurs dont le titre ou l'attestation de prolongation d'instruction arrive à expiration. Coté usagers, un nouvel outil numérique visant à prévenir les situations de ruptures de droit a été développé également par le ministère de l'intérieur. Les usagers titulaires d'un titre de séjour dont le motif est disponible sur l'ANEF sont alertés par courriel et par SMS de l'arrivée à échéance prochaine de leur titre et du délai dans lequel leur demande de renouvellement doit être présentée. Sur le volet de pilotage du réseau et du renforcement des moyens humains, le ministère renforce la coopération entre les différentes parties prenantes par une communication plus fluide entre la Direction Générale des Étrangers en France (DGEF) et les préfectures. D'importants moyens sont ainsi mobilisés pour relever le défi de la transition numérique et renforcer la qualité du service rendu à l'usager. A cet égard, l'accompagnement au bénéfice des services des préfectures a été renforcé par les services centraux par le biais notamment de « missions d'appui et de conseil ». Ce dispositif facilite la détection et la résolution des anomalies techniques de manière coordonnée, permettant une réponse plus rapide et mieux adaptée aux difficultés rencontrées ainsi que la mise en œuvre de solutions de contournement si nécessaire. Par ailleurs, une cellule numérique du quotidien ANEF a été créée courant avril 2025 pour renforcer l'accompagnement des préfectures au changement. Cette cellule est accompagnée par une équipe technique qui prend en charge les anomalies sur place. Plusieurs déplacements ont déjà eu lieu et d'autres sont d'ores et déjà programmés. En matière de moyens le ministère de l'intérieur a doté d'effectifs supplémentaires les services « étrangers » en 2023 et 2024 (12 ETP en 2023 et 60 ETP en 2024, soit 72 sur 2 ans). Il a également doté d'effectifs pérennes supplémentaires les services d'accueil, notamment les PAN « étrangers » (5 ETP en 2023 et 9 en 2024, soit 14 ETP en 2 ans). Par ailleurs, lors d'un déplacement à Metz en novembre 2024, le ministre a annoncé la création de 101 ETP dans les préfectures dont une partie substantielle sera dédiée aux services étrangers. Il est à noter également qu'un plan de renfort triennal à hauteur de 570 vacataires (soit 190 par an) a été déployé au titre des années 2022 à 2024. En 2025, il a été décidé de maintenir à un niveau équivalent aux années précédentes, les renforts fléchés pour les services étrangers, soit 190 ETPT. Enfin, sur le volet « communication », un plan de communication nationale destiné aux usagers et aux services préfectoraux a été mis en œuvre depuis 2023. Chaque déploiement de nouvelles téléprocédures est assorti d'un dispositif d'accompagnement renforcé à l'égard des usagers et des préfectures à différentes étapes : 15 jours avant chaque mise en service, des outils de présentation dédiés sont adressés aux préfectures comprenant un guide « usagers », un guide « agents », une foire aux questions (FAQ), des « fiches métier » ainsi qu'un kit de communication destiné aux services préfectoraux (« prêt à publier ») sur les sites internet des préfectures avec une infographie actualisée répertoriant l'ensemble des procédures dématérialisées. 15 à 20 jours avant chaque mise en service, une démonstration aux responsables du centre de contact citoyen est effectuée afin de renforcer la compréhension de la téléprocédure et de mieux accompagner les usagers. 10 jours avant chaque mise en service, des démonstrations de la téléprocédure sont organisés en visioconférence par les équipes de la DGEF. Après chaque mise en service, des échanges réguliers sont organisés par la DGEF pour répondre aux interrogations des préfectures et faciliter la remontée des anomalies et d'éventuels besoin d'évolutions fonctionnelles. Par ce plan d'actions, le ministère réaffirme son engagement à garantir un accès équitable aux droits pour tous les usagers de l'ANEF.

Données clés

Auteur : M. Emmanuel Fernandes

Type de question : Question écrite

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 20 mai 2025
Réponse publiée le 4 novembre 2025

partager