Les rodéos urbains
Question de :
Mme Géraldine Grangier
Doubs (4e circonscription) - Rassemblement National
Mme Géraldine Grangier appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'efficacité de la réponse judiciaire apportée au phénomène des rodéos motorisés, qui s'est rapidement imposé comme un véritable fléau national. Ce phénomène touche désormais aussi bien les zones urbaines que rurales, représentant un danger non seulement pour les forces de l'ordre mais également pour les citoyens, contraints de subir des nuisances sonores intolérables et de vivre dans la peur pour leur sécurité et celle de leurs proches. Le sentiment d'insécurité grandit face à l'absence perçue de réponses judiciaires suffisamment fermes et dissuasives. Ces rodéos motorisés, consistant généralement en des courses de véhicules - motos ou voitures - à grande vitesse dans des zones densément peuplées ou non adaptées, se multiplient dans tout le pays. Malgré les nombreuses interventions des forces de l'ordre, le cadre législatif et judiciaire semble inadapté pour faire face à la gravité de ces infractions. M. Gérald Darmanin, alors ministre de l'intérieur et des outre-mer, avait lui-même qualifié ce phénomène de « fléau national ». Pourtant, la réalité judiciaire paraît bien différente et de nombreux citoyens expriment leur frustration face à ce qui est perçu comme une certaine impunité des délinquants impliqués dans ces rodéos. Le drame récent de la petite Kamilla, tragiquement décédée à la fin de l'été 2024 dans un accident causé par un rodéo motorisé, illustre de manière poignante les conséquences graves et irréversibles de cette délinquance. Ce type d'incidents met en lumière l'importance d'une réponse judiciaire adaptée et ferme, particulièrement lorsque des vies innocentes sont en jeu. La mort de cette enfant de 7 ans a provoqué une onde de choc dans tout le pays, exacerbant le sentiment que la réponse judiciaire actuelle n'est pas à la hauteur des enjeux. Depuis quelques années, le cadre législatif a pourtant évolué pour répondre à la montée en puissance des rodéos motorisés. Ainsi, la loi n° 2018-701 du 3 août 2018 a introduit les articles L. 236-1 à L. 236-3 dans le code de la route, spécifiquement dédiés à la répression de ces comportements dangereux. L'article L. 236-1 prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 15 000 euros pour les faits de rodéos motorisés. Ces peines peuvent être doublées lorsque les faits sont commis en réunion, comme c'est souvent le cas. En présence de circonstances aggravantes, telles que des blessures ou des dommages à des biens publics ou privés, les peines peuvent être portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. De plus, la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 a renforcé les dispositifs existants, notamment en facilitant les procédures de saisie et de destruction des véhicules impliqués dans ces infractions, y compris pour les véhicules loués. L'article L. 325-7 du code de la route permet désormais de constater, sous un délai réduit de sept jours, l'abandon d'un véhicule ayant servi à commettre une infraction, afin qu'il puisse être rapidement détruit. Cependant, malgré ces avancées législatives, la mise en œuvre de ces dispositifs semble inégale. Mme la députée rappelle un jugement dans le département du Doubs concernant trois jeunes impliqués dans un rodéo motorisé, dont deux étaient en état de récidive. Les faits étaient particulièrement graves : les individus avaient organisé un rodéo en pleine zone piétonne, mettant directement en danger la vie des passants. Un des protagonistes avait même agressé un membre des forces de l'ordre pour permettre la fuite de ses complices. Bien que la loi permette des peines d'emprisonnement, seule une amende a été prononcée pour ces récidivistes, tandis que l'agresseur du policier a été condamné à des travaux d'intérêt général. Cette décision de justice, loin de refléter la gravité des faits et les dangers encourus par la population, envoie un signal particulièrement inquiétant aux délinquants. Ce type de jugement ne semble pas répondre aux attentes des citoyens qui espèrent des sanctions plus dissuasives. Face à la récurrence des rodéos motorisés et à l'absence de sanctions suffisamment sévères, les riverains continuent de vivre dans l'insécurité. Mme la députée constate que les chiffres relatifs aux rodéos motorisés, bien qu'en augmentation, révèlent toujours une réalité inquiétante. En 2021, 26 900 interventions avaient été recensées, ce qui paraissait déjà considérable. Pourtant, les statistiques plus récentes montrent une hausse significative des actions menées par les forces de l'ordre. En 2022, la police a effectué 60 000 opérations, soit plus du double par rapport à 2021. Cette tendance s'est poursuivie en 2023 avec 86 000 interventions, témoignant de l'intensification des efforts pour lutter contre ce fléau. Du côté des saisies de véhicules, on constate également une augmentation importante. En 2022, près de 3 000 véhicules utilisés lors de rodéos motorisés ont été saisis. Cette politique de saisie des engins impliqués dans des infractions est l'une des mesures clés mises en place pour dissuader les délinquants et empêcher la récidive. Déjà, en 2024, plus de 2 000 engins ont été confisqués et l'année n'est pas encore terminée. En comparant ces chiffres avec ceux de 2019, où moins de 1 500 personnes avaient été mises en cause, il est évident que les actions répressives se sont considérablement renforcées. Malgré cette mobilisation croissante, les résultats sur le terrain restent mitigés. L'augmentation des opérations policières et des saisies de véhicules ne semble pas suffire à endiguer le phénomène. En effet, si l'on observe une hausse des condamnations, ces dernières ne sont pas toujours perçues comme suffisamment dissuasives. Le nombre de condamnations a certes doublé en trois ans, passant de 651 en 2019 à 1 538 en 2022, mais cela ne reflète pas la réalité quotidienne vécue par les riverains, confrontés à des rodéos quasi-quotidiens dans certaines zones. En 2024, avec plus de 30 000 opérations menées à mi-année, on peut espérer que le nombre de condamnations et de saisies continue à progresser, mais l'impunité ressentie par une partie de la population persiste, notamment dans les cas de récidive. Ainsi, les efforts de répression, bien que louables, montrent leurs limites. La mise en œuvre plus systématique de sanctions plus sévères, telles que des peines de prison et la confiscation obligatoire des véhicules, demeure une attente forte des citoyens, surtout dans un contexte où la gravité des faits, comme dans l'affaire tragique de la petite Kamilla, ne fait que croître. Face à ce constat, Mme la députée souhaite interroger M. le garde des sceaux sur les dispositions qu'il envisage de mettre en œuvre pour assurer l'application effective de la circulaire de juillet 2023, qui rappelle la nécessité d'une politique pénale ferme et dissuasive contre les auteurs de rodéos motorisés. Cette circulaire recommande notamment le recours à la comparution immédiate pour les faits les plus graves, afin de garantir une réponse pénale rapide et efficace. Cependant, dans la pratique, cette procédure ne semble pas toujours être privilégiée, comme en témoigne l'exemple du Doubs. En outre, Mme la députée souhaite savoir quelles mesures concrètes seront prises pour que les magistrats du parquet appliquent de manière plus systématique les peines prévues par la loi, y compris la confiscation obligatoire des véhicules impliqués et l'annulation des permis de conduire. Elle s'interroge également sur la manière dont le ministère envisage de renforcer la cohérence des décisions judiciaires, afin de garantir que des peines proportionnelles à la gravité des faits soient systématiquement prononcées, en particulier dans les cas de récidive. Enfin, Mme la députée demande combien de temps encore les citoyens devront attendre avant que des peines réellement dissuasives soient systématiquement prononcées pour mettre un terme à ces comportements criminels. La tragédie de la petite Kamilla a montré que l'inaction ou la clémence judiciaire dans ces affaires pouvait avoir des conséquences dramatiques. Il est donc urgent que des mesures supplémentaires soient prises pour protéger les citoyens et restaurer la confiance dans la justice. Elle attend des réponses précises sur les actions que le ministère de la justice entend mener pour que la lutte contre les rodéos motorisés devienne enfin une priorité, avec des sanctions à la hauteur de la gravité des faits commis.
Réponse publiée le 10 décembre 2024
En application de l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013 et des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de l'indépendance de l'autorité judiciaire, il n'appartient pas au garde des sceaux de formuler des appréciations sur les décisions rendues, de donner quelque instruction que ce soit dans le cadre de dossiers individuels ni de commenter les affaires judiciaires en cours. Il revient aux juridictions, dans les limites fixées par la loi et en conciliant, d'une part, les impératifs de protection des intérêts de la société et de sécurité des citoyens et de sanction de l'auteur avec, d'autre part, l'impératif de réinsertion des personnes condamnées, de déterminer la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur, et de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 du code pénal (article 132-1 alinéa 3 du code pénal). Il est toutefois possible de vous assurer que le ministère de la justice et les magistrats sont pleinement conscients des perturbations majeures que les rodéos motorisés génèrent dans la vie des habitants de bien des quartiers et des risques qu'ils font courir aux riverains comme en témoignent l'augmentation des condamnations rendues au cours des années passées par les juridictions qui disposent d'un arsenal législatif renforcé pour sanctionner les auteurs de ces infractions. Si l'article L. 236-1 du code de la route réprime les faits de rodéos motorisés d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, cette répression est doublée lorsque les faits sont commis en réunion et portée jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende en présence de circonstances aggravantes. Les faits d'incitation, d'organisation d'un rassemblement destiné à permettre les rodéos motorisés ou leur promotion par tout moyen sont réprimés de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende (article L. 236-2 du code de la route). Les personnes encourent, en outre, au titre des peines complémentaires, notamment la confiscation obligatoire du véhicule ayant servi à commettre l'infraction et l'annulation de leur permis de conduire. La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure est venue renforcer la lutte contre les rodéos en facilitant notamment les procédures lorsque les véhicules ont été loués (article L. 321-1-1 du code de la route). Les nouvelles dispositions de l'article L. 325-7 du code de la route permettent par ailleurs de constater, sous un délai réduit de sept jours, l'abandon d'un véhicule ayant servi à commettre l'infraction et de le livrer à la destruction. Les véhicules pour lesquels les obligations relatives à l'immatriculation ou à l'identification n'ont pas été satisfaites au moment de leur mise en fourrière sont en outre, en l'absence de réclamation, considérés comme abandonnés dès leur entrée en fourrière et livrés à la destruction. Sous l'impulsion des circulaires du 20 septembre 2022 de politique pénale générale et du 20 juillet 2023 de politique pénale en matière routière, dont le ministère de la justice entend assurer la pleine pérennité, et conscients de l'importance de lutter sans relâche contre ces faits délictuels, les magistrats du parquet ont mis en place une politique pénale ferme afin d'assurer l'effectivité de ces dispositions et de réprimer les rodéos urbains dès lors que les éléments constitutifs de l'infraction ont pu être démontrés au cours de l'enquête et déférer leurs auteurs pour les faits les plus graves. Ainsi, plus de 3 000 personnes ont été mises en cause en 2023 dans des affaires de rodéo urbain, contre moins de 1 500 en 2019. La réponse pénale a également plus que doublé entre 2019 et 2023 (+ 111 %). Le nombre de condamnations visant au moins une infraction de rodéo urbain a été multiplié par 3 en cinq ans, passant de 651 condamnations en 2019 à 1 940 en 2023. En outre, 384 mesures de confiscation de véhicule au sens strict ont été prononcées à l'encontre de personnes mises en cause pour au moins une infraction de rodéo urbain. Leur nombre a plus que doublé entre 2019 et 2022. Le ministère de la justice est donc pleinement mobilisé pour lutter contre le fléau des rodéos motorisés. Ces éléments chiffrés témoignent de la mobilisation des juridictions judiciaires au niveau national pour lutter contre ces comportements infractionnels.
Auteur : Mme Géraldine Grangier
Type de question : Question écrite
Rubrique : Sécurité des biens et des personnes
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 10 décembre 2024