Question orale n° 6 :
Fraude au dispositif MaPrimeRénov'

17e Législature

Question de : Mme Delphine Batho
Deux-Sèvres (2e circonscription) - Écologiste et Social

Mme Delphine Batho interroge M. le ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, sur l'ampleur de la fraude aux aides publiques MaPrimeRénov' gérées par l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Le précédent Gouvernement, par la voix du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, avait déclaré en mai 2024 que « sur MaPrimeRénov' par exemple, j'ai reçu des signalements de Tracfin pour environ 400 millions d'euros ». L'ancien Premier ministre avait confirmé le 15 mai 2024 devant la représentation nationale que ce montant concernait la seule année 2023. L'ampleur de cette fraude est considérable. Elle porte gravement préjudice à l'État et aux contribuables. Elle affecte les moyens budgétaires disponibles pour la politique d'économies d'énergie et abîme la confiance des citoyennes et des citoyens, mais aussi des artisans, dans les politiques publiques de sobriété énergétique. Or l'alerte de Tracfin date de fin 2022. De plus, les problématiques de fraude sont notoires depuis l'origine du dispositif MaPrimeRénov' et étaient censées avoir été corrigées. Ainsi, dès juillet 2020, l'Anah indiquait observer « une recrudescence de pratiques commerciales agressives et frauduleuses » et avoir mis en place des mesures pour y remédier. Au regard de l'antériorité des problématiques de fraude sur les politiques publiques d'économies d'énergie, notamment concernant les certificats d'économies d'énergie (CEE), Mme la députée prie M. le ministre de bien vouloir indiquer quel défaut de vigilance explique une fraude de près d'un demi-milliard d'euros en 2023. Elle lui demande de bien vouloir indiquer si le préjudice s'est poursuivi pour l'année 2024. Elle le prie également de bien vouloir indiquer le montant du préjudice pour l'État en 2023, en 2024, ainsi que le montant total depuis la mise en place du dispositif en 2020. Elle le prie de rendre publics les montants recouvrés ainsi que les informations sur les bénéficiaires de ces détournements de fonds et les poursuites engagées. Enfin, au regard des actions de contrôle mises en place, qui ont des répercussions négatives sur la diligence dans le traitement de dossiers conformes et réguliers, elle le prie de bien vouloir l'informer des actions mises en place pour lutter contre la fraude sans pénaliser la politique d'économies d'énergie.

Réponse en séance, et publiée le 19 décembre 2024

MAPRIMERÉNOV'
Mme la présidente . La parole est à M. Gérard Leseul, pour exposer la question, no 6, de Mme Delphine Batho, relative à MaPrimeRénov'.

M. Gérard Leseul . Effectivement, notre collègue Delphine Batho a été retenue dans sa circonscription par les obsèques du président de l'Union départementale des sapeurs-pompiers des Deux-Sèvres, auxquelles elle tenait beaucoup à assister.

En mai 2024, Thomas Cazenave, chargé des comptes publics, déclarait avoir reçu au sujet de MaPrimeRénov' des signalements de Tracfin portant sur environ 400 millions d'euros. Le 15 mai, le premier ministre de l'époque confirmait devant la représentation nationale que ce montant concernait la seule année 2023. Cette fraude fait un tort considérable au contribuable comme à l'État, car elle met à mal à la fois les moyens budgétaires et la confiance des citoyens, des artisans, dans les politiques publiques de sobriété énergétique. Alors que notre assemblée examinera lundi en séance une proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, Delphine Batho, au nom de qui je vous remercie par avance, madame la ministre déléguée, souhaiterait des réponses factuelles et précises à ses questions.

Tout d'abord, l'alerte de Tracfin remontant à la fin de l'année 2022, comment expliquer l'ampleur du préjudice – près d'un demi-milliard d'euros, je le répète – subi en 2023 ? Y a-t-il eu défaut de vigilance ? Ensuite, cette fraude s'est-elle poursuivie en 2024, et pour quel montant ? Enfin, à combien estime-t-on les fraudes dont MaPrimeRénov' a fait l'objet depuis sa création en 2020 ? Quel montant l'État a-t-il recouvré ? Quelles informations pouvez-vous communiquer au Parlement concernant les bénéficiaires de ces détournements de fonds et les poursuites engagées ?

Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'économie sociale et solidaire, de l'intéressement et de la participation.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, ministre déléguée chargée de l'économie sociale et solidaire, de l'intéressement et de la participation . Votre question rappelle que le dispositif MaPrimeRénov' fait malheureusement l'objet de fraudes, ce qui est bien identifié par le gouvernement et appelle les réponses les plus fermes. Le montant réel du préjudice subi par l'État ne doit pas pour autant être confondu avec les 398 millions qu'a évoqués Tracfin, lesquels correspondent aux déclarations de soupçon reçues des banques. Une hausse de ces déclarations a bien été constatée en 2023, mais cela ne signifie pas systématiquement qu'il y a fraude. Afin d'évaluer le préjudice, il convient de s'intéresser plutôt aux escroqueries signalées par Tracfin à la justice ; or leur montant total, depuis 2022, ne s'élève – je vous accorde que c'est déjà beaucoup trop – qu'à 14 millions.

Toutefois, face à des fraudeurs toujours plus organisés, recourant notamment à des sociétés éphémères, il est indispensable d'armer encore mieux les services d'investigation. Premièrement, nous développons des parades institutionnelles plus efficaces. Les moyens d'action collectifs ont été dernièrement renforcés : d'une part, l'Office national antifraude dote la justice d'un puissant bras armé, qui participe activement à la prise en charge des fraudes les plus graves ; d'autre part, une cellule de veille interministérielle antifraude aux aides publiques, rattachée à la mission interministérielle de coordination antifraude, mobilise tous les services et leviers administratifs ou judiciaires en vue de bloquer automatiquement le versement des fonds en cas de suspicion, systématiser l'échange d'informations et judiciariser efficacement, auprès des services d'enquêtes et parquets spécialisés, les montages les plus élaborés.

Deuxièmement, nous adaptons les dispositifs juridiques. La proposition de loi que vous avez évoquée, due à Thomas Cazenave, prévoit d'alourdir les sanctions, de renforcer les moyens de contrôle de l'Agence nationale de l’habitat (Anah), de responsabiliser davantage les acteurs de la rénovation énergétique ; le gouvernement proposera des mesures complémentaires.

Troisièmement, nous multiplions les contrôles. L'Anah s'y emploie ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a contrôlé en 2023, même si cela reste encore insuffisant, près de 800 opérateurs du secteur, dont 50 % présentaient des anomalies à des degrés divers ; 25 % de ces contrôles ont eu des suites répressives – des amendes administratives, 200 procès-verbaux pénaux. Enfin, de récents jugements ont donné lieu à de lourdes amendes et peines de prison. J'espère vous avoir rassuré.

Mme la présidente . La parole est à M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul . Merci, madame la ministre, de vos réponses. Je conçois bien que déclaration de soupçon ne signifie pas toujours fraude ; en revanche, le décalage entre le demi-milliard sur lequel portent ces déclarations et les 14 millions de préjudice avéré me laisse penser qu'il faut soit faire de la pédagogie, soit, comme vous l'avez évoqué, renforcer les mesures de surveillance et d'examen.

Données clés

Auteur : Mme Delphine Batho

Type de question : Question orale

Rubrique : Logement : aides et prêts

Ministère interrogé : Budget et comptes publics

Ministère répondant : Budget et comptes publics

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 novembre 2024

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