Chômage frontalier
Question de :
Mme Virginie Duby-Muller
Haute-Savoie (4e circonscription) - Droite Républicaine
Mme Virginie Duby-Muller alerte Mme la ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi, sur le sujet du chômage frontalier. À l'automne 2024, l'UNEDIC a médiatisé un problème bien connu en Haute-Savoie et dans les territoires frontaliers notamment la Suisse : il s'agit du coût de la prise en charge par la France du chômage des travailleurs frontaliers en Suisse. Selon cet organisme, le montant est évalué à 800 millions d'euros par an, ce qui pénalise fortement les finances publiques. À la suite de l'accord des partenaires sociaux sur l'assurance-chômage, il était prévu pour combler le déficit l'application d'un coefficient qui aurait eu pour conséquence de réduire l'indemnisation chômage des travailleurs frontaliers qui ont cotisé. Avant la dissolution, la ministre Astrid Panosyan-Bouvet a indiqué que cette mesure ne serait finalement pas appliquée car inconstitutionnelle. Ainsi, elle lui demande quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet majeur dans les territoires frontaliers et si elle envisage d'entamer une négociation avec la Suisse afin de réduire le différentiel qui pèse de façon inique sur les comptes publics de la France.
Réponse en séance, et publiée le 22 janvier 2025
CHÔMAGE FRONTALIER
M. le président . La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour exposer sa question, no 70, relative au chômage frontalier.
Mme Virginie Duby-Muller . Je souhaite interroger Mme la ministre chargée du travail et de l'emploi sur une problématique particulièrement sensible pour nos territoires frontaliers, notamment le département de la Haute-Savoie, que j'ai l'honneur de représenter : la prise en charge du chômage des travailleurs frontaliers.
Il y a quelques semaines, un accord a été annoncé entre les partenaires sociaux sur l’assurance chômage. Il proposait notamment une réforme de l’indemnisation chômage pour les travailleurs frontaliers, par l’instauration d’un coefficient attribué aux personnes en situation de chômage afin de réduire leur indemnisation.
J’entends et je comprends les arguments, notamment financiers, qui ont conduit à cette proposition. Elle ne semble cependant pas acceptable, car elle est profondément injuste et assez brutale pour les travailleurs frontaliers.
J’avais reçu, à ma permanence d’Annemasse, plusieurs associations de représentants de travailleurs frontaliers inquiets de cette situation, car selon plusieurs estimations, la réforme pouvait réduire de près de 70 % l’indemnisation chômage des frontaliers.
C’est également problématique d’un point de vue juridique : en rompant le principe d'égalité entre les travailleurs, une telle mesure se révélerait inconstitutionnelle.
Toutefois, le système actuel porte une grave atteinte aux finances publiques de notre pays. Dans la situation critique que nous connaissons, il est important de maintenir comme objectif une bonne gestion de l’argent public.
Selon l’Unedic, la France assume un coût annuel de l’ordre de 800 millions d’euros pour indemniser les travailleurs frontaliers au chômage.
Je rappelle que c’est un règlement européen qui impose au pays de résidence le financement des allocations chômage, quand bien même les cotisations ont été versées dans le pays d'emploi.
Cette situation engendre un déséquilibre budgétaire important pour l’assurance chômage française, puisque la France verse environ 1 milliard d’euros et ne reçoit que 200 millions de remboursement par les pays voisins.
Or une communication officielle du 10 janvier 2025 du secrétariat d’État à l’économie helvétique a annoncé pour son assurance chômage un excédent de recettes de 1,55 milliard de francs suisses ; en 2023, l’excédent était de 2,76 milliards.
Cette réforme ne peut pas se faire au détriment des droits des travailleurs frontaliers qui ont cotisé et qui ne sont pas responsables de cette situation.
Quelles suites comptez-vous donner à cette proposition ? La réforme sera sans doute nécessaire, mais doit se faire en concertation avec les différents partenaires sociaux, les travailleurs frontaliers et les parlementaires.
M. le président . La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins . Votre question me permet de rappeler qu'une des priorités du ministère de Mme Astrid Panosyan-Bouvet est de réformer les règles européennes d'indemnisation du chômage des frontaliers. Le règlement en vigueur dispose que l'État de résidence, et non l'État d'emploi, prend en charge l'indemnisation et que ce dernier verse trois à cinq mois d'allocations à l'État de résidence, selon que le frontalier y a travaillé plus ou moins de douze mois.
Ce système d'indemnisation engendre chaque année un déficit de près de 800 millions d'euros pour l'assurance chômage française, non seulement en raison des salaires plus élevés dans les pays voisins – la Suisse, que vous connaissez très bien, ainsi que le Luxembourg et l'Allemagne –, mais aussi à cause d'un temps plus long de recherche d'un nouvel emploi. Les demandeurs d'emploi transfrontaliers consomment davantage leurs droits : en 2023, 41 % d'entre eux avaient consommé l'intégralité de leurs droits, contre une moyenne de 37 %.
Face à cette problématique, Mme Astrid Panosyan-Bouvet a conçu un plan d'action qui se décline en deux volets. À l'échelle de l'Union européenne, elle a engagé des démarches diplomatiques auprès de ses homologues européens pour défendre la révision du règlement 883/2004 dans le cadre de la présidence polonaise de l'Union européenne.
À l'échelle nationale, elle a saisi, le 8 janvier 2025, la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle d'un projet de décret précisant les éléments constitutifs de l'offre raisonnable d'emploi (ORE) qui, pour rappel, est une offre qui correspond, pour un demandeur d'emploi donné, à son niveau de qualifications et de compétences, à sa localisation géographique et au niveau de salaire normalement pratiqué dans la zone géographique de sa recherche d'emploi.
Le projet de décret prévoit que le salaire habituellement pratiqué en France devienne l'un des éléments constitutifs de l'ORE, et non plus les salaires pratiqués à l'étranger. Les autres éléments restent inchangés.
Ce décret est l'une des mesures de transposition de l'article 4 de l'accord des partenaires sociaux relatif à l'assurance chômage du 14 novembre 2024, dans lequel les organisations signataires appellent formellement les pouvoirs publics à entreprendre toutes les actions nécessaires pour réviser la réglementation européenne en matière d'indemnisation des travailleurs frontaliers et à renforcer leur accompagnement.
Par ailleurs, toujours dans la lignée de l'accord de novembre 2024, et en complément de ce projet de décret, l'accompagnement des demandeurs d'emploi frontaliers sera renforcé par les dix-neuf agences France Travail qui accueillent la majorité d'entre eux.
Il ne s'agit pas de stigmatiser ces travailleurs qui sont une composante essentielle de la vitalité de nos territoires et qui seront toujours libres de chercher un emploi dans le pays de leur choix, mais de mieux accompagner les demandeurs d'emploi frontaliers qui chercheraient en France.
L'assurance chômage doit continuer de jouer pleinement son rôle de filet de sécurité pour tous les travailleurs, tout en répondant aux impératifs d'incitation au retour à l'emploi et de soutenabilité de la trajectoire financière.
Enfin, au niveau bilatéral, il nous faut également travailler directement avec la Suisse à un système plus équilibré pour la France.
Vous avez compris, madame la députée, qu'Astrid Panosyan-Bouvet est pleinement mobilisée sur cette problématique, qu'elle prend très au sérieux, et que vous pouvez compter sur sa pleine détermination.
M. le président . La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller . Je vous remercie, monsieur le ministre, de m'avoir transmis les éléments de réponse de votre collègue, qui s'était engagée, avant la censure, à venir en Haute-Savoie. J'espère pouvoir l'y accueillir.
Bien sûr, il faut travailler non seulement à l'échelon européen, mais aussi avec nos partenaires suisses. Nous comptons vraiment sur elle pour avancer sur ce dossier. La France a de l'argent à récupérer.
Auteur : Mme Virginie Duby-Muller
Type de question : Question orale
Rubrique : Chômage
Ministère interrogé : Travail et emploi
Ministère répondant : Travail et emploi
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 janvier 2025