Conjugalisation de l'aide médicale d'État
Question de :
M. Hendrik Davi
Bouches-du-Rhône (5e circonscription) - Écologiste et Social
M. Hendrik Davi interroge M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins, sur la conjugalisation de l'aide médicale d'État annoncée par le Gouvernement en octobre 2024. Il alerte sur le risque que ferait porter la prise en compte des ressources du conjoint dans le droit à l'AME notamment pour la santé des femmes en situation de grande précarité. Pour prétendre à l'AME, une personne seule doit percevoir des revenus inférieurs à 847 euros/mois et un foyer de deux personnes des revenus inférieurs à 1 271 euros/mois. Aujourd'hui, les ressources du conjoint, Français ou étranger en situation administrative régulière, ne sont pas prises en compte dans le calcul d'admission à l'AME pour son ou sa partenaire. La conjugalisation des ressources exclurait des milliers de bénéficiaires de l'AME en couple avec un assuré social en cas de dépassement du plafond de revenus. De fait, les possibilités d'avoir accès à la prévention et d'être soigné ou hospitalisé seraient soumises au bon vouloir du conjoint et de sa capacité financière à engager les dépenses. M. le député rappelle qu'en 2023, 192 000 femmes majeures bénéficient de l'aide médicale d'État et que les femmes étrangères sont particulièrement vulnérables en raison de la combinaison de facteurs de précarité économique, sociale et administrative. Cette mesure aggraverait leur exposition aux violences conjugales, intrafamiliales, sexistes et sexuelles, auxquelles elles sont déjà confrontées. Les recherches montrent que les victimes de féminicides subissent d'autres formes de contrôle coercitif avant le meurtre, notamment des restrictions à l'accès aux soins et aux droits administratifs. Ces restrictions provoqueront des retards dans l'accès aux soins, entraînant des complications qui généreront des coûts plus élevés pour l'hôpital public qui devra dans tous les cas, prendre en charge les patients. Pour toutes ces raisons, il lui demande s'il prévoit de renoncer à cette réforme.
Réponse en séance, et publiée le 22 janvier 2025
AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT
M. le président . La parole est à M. Hendrik Davi, pour exposer sa question, no 73, relative à l'aide médicale de l'État.
M. Hendrik Davi . Monsieur le ministre, étant vous-même médecin, vous savez que les maladies infectieuses ne connaissent pas de frontières ; ne pas soigner un ressortissant étranger, ou mal le soigner, c'est non seulement inhumain et contraire à la déontologie médicale, mais c'est aussi une hérésie en matière de santé publique. Leur santé, c'est aussi la nôtre. Que l'on parle de tuberculose, de sida, de grippe ou de covid, laisser sans soins certains de nos congénères est absurde. Plus on retarde les consultations, plus les maladies s'aggravent, et plus elles sont coûteuses à soigner.
Or, pas plus tard que dimanche dernier, le ministre de l'intérieur – votre collègue – a rappelé sa volonté de réformer l'aide médicale de l'État, l'AME. Jeudi, son ministre délégué a lui aussi annoncé que l'AME serait restreinte. Je note que c'est le ministère de l'intérieur qui communique alors qu'il s'agit d'un vrai sujet de santé publique. Pourtant, les médecins ne cessent de le répéter : les patients étrangers qui bénéficient de l'AME n'ont pas migré pour se faire soigner, mais pour fuir la misère ou la guerre civile. À Marseille, nous recueillons de nombreux témoignages qui vont dans ce sens. Souvent, ces personnes travaillent sur nos chantiers ou dans nos restaurants.
Plusieurs restrictions absurdes de l'aide médicale de l'État ont été mises sur la table, mais l'une d'entre elles inquiète tout particulièrement les associations : la conjugalisation de l'AME. En octobre, le gouvernement avait annoncé que les ressources du conjoint pourraient être prises en compte pour calculer si une personne a droit à l'AME. Cela pourrait avoir pour conséquence d'exclure des milliers de bénéficiaires de ce dispositif – ceux qui sont en couple avec un assuré social dont les revenus dépassent le plafond. Si cette mesure se concrétise, l'accès aux soins et à la prévention dépendra entièrement du bon vouloir du conjoint. Vous mettrez ainsi en danger les 192 000 femmes bénéficiant de l'AME, que leur précarité rend particulièrement vulnérables aux violences conjugales. Saviez-vous que les scientifiques ont montré que les victimes de violences conjugales, lesquelles vont parfois hélas jusqu'au féminicide, ont subi des restrictions de l'accès aux soins de la part de leur conjoint ?
Pour toutes ces raisons, cette mesure de conjugalisation proposée dans le rapport Evin-Stefanini ne doit pas devenir réalité. Ma question est donc très simple : comptez-vous y renoncer ? Vous engagez-vous solennellement à ne pas toucher à l'aide médicale de l'État ? Si vous ne vous y engagez pas, j'espère que cela aura au moins le mérite de convaincre mes camarades socialistes de voter la censure !
M. le président . La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins . Je voudrais d'abord tordre le cou à un certain nombre d'idées reçues sur l'aide médicale de l'État, en mettant de côté les déclarations des uns et des autres, qu'ils soient membres du gouvernement ou non. Vous avez rappelé que je suis médecin. Quand on accueille un patient en urgence, par exemple, comme j'ai eu l'occasion de le faire durant de nombreuses années, une personne qui fait un infarctus la nuit, on ne lui demande pas ses papiers : on l'accueille au bloc et on débouche son artère. Les équipes médicales et paramédicales ne se soucient que d'une chose, la bonne prise en charge du patient. Le dossier administratif n'est constitué que dans un second temps. Je me méfie donc beaucoup de ce qui est dit sur ce sujet, car on peut facilement attiser des peurs infondées. On ne refuse personne à l'hôpital du fait de sa nationalité, et rien n'est prévu pour sanctionner cet accueil.
Je porte un grand intérêt aux questions de santé mondiale, notamment à la tuberculose, au paludisme et au sida, comme en témoigne ma participation à l'installation de l'académie de l'OMS à Lyon. Il n'a jamais été dit que les maladies infectieuses seraient exclues de la prise en charge. Il faut donc dédramatiser. Ce sujet est avant tout un sujet politique, qui dessine une ligne de fracture au sein de cet hémicycle, avant d'être un sujet de santé publique. Les dépenses de l'AME ne représentent que 0,5 % des dépenses de santé.
Mme Clémentine Autain . Exactement !
M. Hendrik Davi . Nous sommes parfaitement d'accord !
M. Yannick Neuder, ministre . Les actes pris en charge dans ce cadre sont essentiellement des accouchements et ceux qui résultent d'affections respiratoires, de problèmes digestifs, notamment d'hépatites, et de problèmes cardiovasculaires – de vrais problèmes médicaux. Ici ou là, des actes plus accessoires ont pu être pris en charge, mais c'est anecdotique. Ils ont cependant fait l'objet de nombreux articles de presse, sans que ce soit toujours très justifié. Je suis pour que l'on se questionne sur ces actes, même si ce n'est pas le fond du problème, mais il n'a jamais été dit que nous ne devions plus faire preuve d'humanité en matière de prise en charge. Il faut agir avec discernement et distinguer l'essentiel du superflu, afin d'éviter un appel d'air. Je ne commenterai donc pas les propos des uns et des autres ; je m'exprimerai plus longuement si ce sujet arrive jusqu'ici. La ligne qui doit être la nôtre, c'est la prise en charge humaine des patients, quelle que soit leur nationalité – personne ne doit être laissé sur le bord de la route. En revanche, il ne faut pas prendre en charge des actes superflus ou qui relèvent de la médecine esthétique.
Sur la question de la conjugalisation, il faut se replonger dans le rapport Evin-Stefanini. C'est une question de justice sociale et d'acceptabilité auprès de nos concitoyens. Certaines personnes qui ont cotisé toute leur vie et qui se retrouvent avec un reste à charge ont du mal à accepter que les dépenses médicales de personnes qui n'ont pas cotisé soient complètement prises en charge. Le rapport Evin-Stefanini contient d'autres propositions afin de soigner tout le monde tout en rétablissant une justice sociale pour ceux qui ont cotisé. Nous pouvons trouver un juste milieu pour contrôler les dépenses avec fermeté – car si la santé n'a pas de prix, elle a un coût – tout en garantissant l'humanité de la prise en charge.
Auteur : M. Hendrik Davi
Type de question : Question orale
Rubrique : Étrangers
Ministère interrogé : Santé et accès aux soins
Ministère répondant : Santé et accès aux soins
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 janvier 2025