Question écrite n° 7923 :
Développement du blanchiment de capitaux et de la criminalité organisée

17e Législature

Question de : M. Anthony Boulogne
Meurthe-et-Moselle (6e circonscription) - Rassemblement National

M. Anthony Boulogne alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les montants faramineux issus du blanchiment d'argent et de la criminalité sur le territoire français. Selon l'Office des Nations Unis contre la drogue et le crime (ONUDC), 2 à 5 % du PIB mondial serait blanchi chaque année, soit un montant compris entre 1 600 et 4 000 milliards d'euros. Rapporté au PIB 2024 de la France, cela représenterait un montant de 58 milliards d'euros. Selon le rapport d'enquête parlementaire relatif à la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, seulement 2 % des montants blanchis seraient saisis. La Cour des comptes européenne indiquait, dans un rapport de 2021, que le blanchiment de capitaux représentait 1,3 % du PIB de l'Union européenne soit, rapporté à la richesse nationale, 38 milliards d'euros par an pour la France. Bien que les estimations divergent sur le montant exact du blanchiment, l'ampleur de ce fléau est incontestable. Concernant la délinquance financière (fraude et évasion fiscale), celle-ci est estimée au niveau mondial, à 5 000 milliards d'euros. Toujours selon le rapport sénatorial précité, « les pertes fiscales liées à l'évasion des multinationales sont estimées à 600 milliards de dollars dans le monde, dont 200 milliards pour l'Union européenne » (p. 18). Selon les estimations des sénateurs dans leur rapport, le chiffre d'affaires des réseaux criminels spécialisés dans le blanchiment d'avoirs criminels en France est de 50 milliards d'euros, dont 20 milliards pour les fraudes aux finances publiques ; 5,7 milliards pour les contrefaçons ; 3,5 à 6 milliards pour le narcotrafic ; 1 à 3,2 milliards pour l'exploitation sexuelle ; 2 milliards pour la contrebande de tabac et 1,3 milliard pour les atteintes à l'environnement. Ces dizaines de milliards d'euros dérobés à l'État et au contribuable français financent non seulement des groupes criminels, notamment des narcotrafiquants ; le blanchiment de capitaux profite aussi à des groupes terroristes pour financer leurs actions, par nature illégales. Des flux de plusieurs millions de dollars générés par le trafic de migrants en direction du Hezbollah et du djihad islamique palestinien ont été détectés, en 2024, par le parquet national polonais. Cette porosité entre groupes criminels et organisations terroristes exige un renforcement de la lutte contre le blanchiment et la criminalité organisée. M. le député insiste sur l'importance de cette lutte eu égard à la porosité de ces faits criminels avec les circuits de financement de groupes terroristes. Il lui demande donc de lui détailler les mesures qu'il compte prendre pour mieux lutter contre le blanchiment, la délinquance financière et la criminalité organisée, notamment en ce qui concerne le renforcement des compétences du service de renseignement financier, Tracfin et l'accroissement des moyens dont il dispose, le sujet des moyens se posant de manière identique concernant le parquet national financier (PNF).

Réponse publiée le 2 décembre 2025

La France figure parmi les États les plus performants en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LBC-FT), comme en atteste sa dernière évaluation par le groupe d'action financière (GAFI) [1], organisme multilatéral chargé de lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération d'armes de destruction massive. La France a obtenu des résultats particulièrement élevés en matière d'enquêtes et de poursuites pour financement du terrorisme, de confiscation des avoirs criminels et de coopération internationale. Son cadre institutionnel est ainsi régulièrement cité comme modèle par le GAFI. Dans ce contexte, la France demeure pleinement mobilisée pour renforcer son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L'adoption, en mai 2024, du sixième paquet législatif européen en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, renforcera l'harmonisation de l'action des Etats membres de l'Union européenne. Il crée l'autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (AMLA), chargée notamment de coordonner l'activité des cellules de renseignement financier, telles que Tracfin en France, et d'assurer une supervision directe des établissements financiers les plus à risque. Il complète également le socle normatif existant, en élargissant le champ des entités assujetties à des obligations de vigilance et de déclaration permettant de prévenir les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, [2] en favorisant la transparence par l'enrichissement du registre des bénéficiaires effectifs, et en améliorant le partage d'informations entre entités assujetties et États membres, notamment via l'interconnexion des registres bancaires et la mise en place de partenariats d'échange d'informations. Le texte instaure également un plafonnement des paiements en espèces à 10 000 euros, avec la possibilité pour les Etats membres d'aller plus loin. La loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, a par ailleurs complété l'arsenal national de LBC-FT. Elle modifie l'article L. 561-2 du code monétaire et financier pour intégrer de nouvelles catégories d'entités assujetties [3]. Le texte renforce les échanges d'informations entre entités déclarantes, autorités judiciaires, cellules de renseignement étrangères et ordres professionnels. La loi élargit en outre les prérogatives de Tracfin : possibilité pour Tracfin de recevoir directement des alertes issues de lanceurs d'alerte protégés par la loi Sapin II ; extension de son droit de communication à de nouveaux professionnels (conseillers en gestion de patrimoine, sociétés de domiciliation, plateformes de facturation électronique). La loi prend également acte des risques liés aux technologies sur cryptoactifs : introduction d'une pleine reconnaissance de la présomption de blanchiment en cas d'usage de dispositifs d'anonymisation (cryptoactifs à fonction d'anonymat renforcé, « mélangeur » de cryptoactifs, comptes opaques) ; interdiction pour les prestataires sur cryptoactifs de tenir de comptes ou d'offrir de services permettant l'opacification des flux. Les moyens d'actions de Tracfin ont été renforcés sur la période 2023-2027, dans le cadre du plan de « Lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques » dans un contexte d'accroissement constant de son activité. Ainsi, Tracfin s'est vu notifier une trajectoire de + 75 ETP, dont + 15 ETP pour l'année 2024, portant les effectifs du Service en fin d'année 2024 à 212,5 ETPT. Le schéma d'emplois 2024 a spécifiquement permis de procéder au recrutement de 9 agents dédiés à la lutte contre les fraudes. Le schéma d'emplois 2025 permet la création de 10 postes supplémentaires. En outre, en 2024, la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a alloué à Tracfin 4,17 millions d'euros d'autorisation d'engagement (AE) et 3,57 millions d'euros de crédit de paiement (CP), sur un budget total de 12,33 millions d'euros, au titre des mesures nouvelles. Ces crédits ont permis le financement de projets prioritaires pour le Service, dont quatre projets structurants (i) l'évolution du portail de télédéclaration ERMES ; (ii) la création d'un second data center ; (iii) l'acquisition d'outils d'investigation et d'analyse ; (iv) la participation à des programmes mutualisés interministériels. S'agissant des moyens de la politique pénale de lutte contre le blanchiment, le ministère de la Justice a annoncé que de nombreux magistrats viendront renforcer, dans les deux années à venir, les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) et la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) – qui a vocation à être fondu au sein du futur parquet national de lutte contre la criminalité organisée qui sera mis en place le 5 janvier 2026. Ce nouveau parquet à compétence national – à l'instar du parquet national financier et du parquet national antiterroriste - disposera d'une compétence nationale pour les affaires de blanchiment de très grande complexité, impliquant notamment un préjudice financier important. Outre les recrutements de magistrats, le dispositif devrait également être complété par de nouveaux recrutements au bénéfice de l'équipe autour du magistrat (greffiers, attachés de justice et assistants spécialisés). A l'heure actuelle, la JUNALCO bénéficie de 24 magistrats au parquet accompagnés de 6 assistants spécialisés et de 19 magistrats à l'instruction. S'agissant du parquet national financier, il importe de relever que celui-ci est compétent exclusivement pour le blanchiment des infractions sous-jacentes relevant de sa compétence. A l'heure actuelle, 20 magistrats, 8 assistants spécialisés et 2 attachés de justice sont affectés au parquet national financier. [1] Rapport d'évaluation mutuelle de la France, mai 2022 [2] Clubs de football professionnels, marchands de biens, promoteurs immobiliers, fournisseurs de services d'immigration par l'investissement, holdings non financières [3] Vendeurs et loueurs de véhicules de luxe, promoteurs immobiliers, clubs de football professionnels

Données clés

Auteur : M. Anthony Boulogne

Type de question : Question écrite

Rubrique : Banques et établissements financiers

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle, énergétique et numérique

Dates :
Question publiée le 1er juillet 2025
Réponse publiée le 2 décembre 2025

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