Discrimination fondée sur le lieu de résidence : quand l'État agira-t-il ?
Question de :
M. Antoine Léaument
Essonne (10e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Antoine Léaument alerte Mme la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, sur les discriminations à l'embauche que subissent les habitants et habitantes de la ville de Grigny en Essonne. Avec un taux de pauvreté atteignant 44 %, la commune de Grigny, située dans la circonscription de M. le député en Essonne (91), figure parmi les villes les plus défavorisées de France. Elle se distingue également par la jeunesse de sa population (près de 50 % des habitants ont moins de 30 ans) ainsi que par un faible niveau de formation : 48 % des résidents âgés de plus de 15 ans ne détiennent aucun diplôme. Grigny se trouve ainsi au croisement de plusieurs difficultés structurelles, qui influencent profondément les trajectoires sociales de ses habitants. Malgré ce contexte, les habitants et habitantes de Grigny témoignent d'une volonté remarquable de surmonter ces obstacles. Dans un article du journal Le Parisien, publié le 28 juin 2025 et intitulé « Portes qui se ferment, discrimination à l'embauche : Quand on vient de Grigny, c'est beaucoup plus compliqué », Abdoulaye Timera, responsable du service jeunesse de la ville, souligne que les jeunes, bien que volontaires et investis dans leurs démarches, se heurtent systématiquement à des refus ou à l'absence totale de réponse lorsqu'ils postulent à des stages ou à des emplois. L'article met également en lumière une stratégie désormais répandue : le recours à des adresses d'emprunt, employées par de nombreux Grignoises et Grignois pour contourner les préjugés liés à leur lieu de résidence. Mathias Ott, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, a récemment annoncé le lancement d'une nouvelle campagne de testing à l'échelle nationale, ciblant entreprises et institutions. Si ces campagnes ont le mérite de documenter les discriminations, leurs résultats sont déjà largement connus : le lieu de résidence constitue un facteur déterminant de discrimination à l'embauche. Ce constat est largement établi par la recherche scientifique. Ainsi, l'étude intitulée « Discrimination résidentielle et origine ethnique », menée par plusieurs universitaires, démontre que résider dans un quartier populaire affecte négativement les chances d'accès à l'emploi, indépendamment des qualifications. Cette réalité a d'ailleurs trouvé une reconnaissance sur le plan juridique. L'article L. 1132-1 du code du travail interdit toute discrimination à l'embauche ou dans la carrière professionnelle et la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 a expressément ajouté le lieu de résidence parmi les critères prohibés. Dès lors, quelle est la finalité de reproduire, les mêmes campagnes de testing, alors que leurs conclusions sont invariablement identiques ? Le racisme et les discriminations systémiques, dont celles liées au territoire, sont profondément enracinés dans les rouages de la société. Ils appellent donc une réponse systémique, cohérente et contraignante, fondée sur des obligations légales applicables à l'ensemble des employeurs et non sur de simples initiatives ciblées. Aussi, il lui demande quelles mesures effectives elle compte mettre en œuvre afin de solutionner en profondeur le problème de la discrimination à l'embauche en raison du lieu de résidence.
Réponse publiée le 29 juillet 2025
Le travail de mesure des discriminations est mené en France par le biais de travaux académiques ou d'enquêtes réalisées par des associations et institutions publiques. La plupart de ces enquêtes se concentrent sur le ressenti individuel par un questionnement auprès de la population générale. C'est, par exemple, le cas des enquêtes TeO1 et TeO2 qui permettent de mettre en lumière le ressenti des discriminations. La dernière enquête révèle qu'en 2019-2020, 18% des 18-49 ans estiment avoir subi « des traitements inégalitaires ou des discriminations » et 1 Français sur 5 déclare avoir subi un traitement discriminatoire dans les 5 dernières années. Depuis 5 ans, l'Etat s'empare progressivement de la méthode des testings, notamment sur le sujet de l'emploi : des testings à l'embauche sur la base du critère « origine » sont réalisés régulièrement dans le secteur public et le secteur privé (par le ministère de la fonction publique ainsi que dernièrement par le ministère du travail). Le ministère de la fonction publique mène, en collaboration avec les équipes scientifiques du professeur Yannick L'Horty, des testings sur deux corps de métiers spécifiques : les aides-soignantes et les cadres administratifs. Deux critères de discrimination sont testés : le critère de l'origine et le critère de l'adresse. Les testings révèlent qu'une origine perçue comme étrangère demeure un élément important de discrimination et les testings révèlent que le critère de l'adresse n'est pas un facteur déterminant. Dans le secteur public, les écarts ne sont pas significatifs. Dans le secteur privé, l'écart est statistiquement significatif en faveur des habitants de QPV. Cette évolution singulière et contre-intuitive, coïncide nettement avec le déploiement des « emplois francs ». Les testings ont donc permis de valider l'efficacité d'un dispositif « politiques de la ville ». C'est également une mesure forte du Plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine lancé en 2023 par la Première Ministre Elisabeth Borne. A l'aune de ces constats, l'Etat a décidé de lancer des vagues massives de testings pour lutter contre les discriminations. Le gouvernement a publié un appel d'offre en ce sens : Ces testings seront massifs : 12 métiers ainsi que 3 000 offres d'emploi seront testés dans tout type d'entreprises. Ils seront confiés à un laboratoire de recherche en charge de mettre en place la méthodologie la plus rigoureuse et d'analyser les résultats des testings. Ces vagues seront annuelles et permettront de disposer d'un baromètre de l'état des discriminations en France et de leur évolution. Dans un premier temps seront testées les discriminations à l'embauche puis, dans un second temps, les discriminations au logement. 3 critères seront testés : le genre ; l'origine (nom et prénom) ; l'adresse. Ces testings sont un instrument de l'Etat pour faire reculer les discriminations. La relance de grandes vagues de testing est particulièrement utile car ils permettront de déterminer quels sont les critères les plus discriminants mais également d'identifier les corps de métiers et les territoires où les discriminations sont les plus importantes. Cette objectivation fine des pratiques discriminatoires par une utilisation plus systématique du testing est un préalable majeur au renforcement de notre politique de lutte contre les discriminations et à sa plus grande efficacité. La Ministre Aurore Bergé croit au dialogue vertueux avec les employeurs. A l'instar de la convention de partenariat passée entre SOS Racisme et la FNAIM sous l'égide du Gouvernement, pour renforcer la prévention contre les discriminations à l'accès au logement, il est nécessaire de multiplier les outils de coopération afin d'entrainer des secteurs entiers dans cette démarche. La Ministre Aurore Bergé souhaite aller plus loin en soutenant, par exemple, des initiatives parlementaires comme la proposition de loi relative aux testings qui permet de tester, dialoguer, corriger.
Auteur : M. Antoine Léaument
Type de question : Question écrite
Rubrique : Discriminations
Ministère interrogé : Égalité entre les femmes et les hommes et lutte contre les discriminations
Ministère répondant : Égalité entre les femmes et les hommes et lutte contre les discriminations
Dates :
Question publiée le 8 juillet 2025
Réponse publiée le 29 juillet 2025