Question écrite n° 8282 :
Pour une prise en compte de l'intersectionnalité dans les décisions de justice

17e Législature

Question de : M. Antoine Léaument
Essonne (10e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Antoine Léaument attire l'attention de M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'absence de la prise en compte de l'intersectionnalité par le système judiciaire. Le 18 juin 2025, la Cour nationale consultative des droits de l'homme publiait son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Dans ce rapport, l'institution rappelle l'importance de la notion d'intersectionnalité, laquelle désigne « à la fois l'interaction entre le genre, la race et d'autres catégories de différences dans les vies individuelles ». Si la loi admet différents motifs discriminatoires, elle ne permet pas de prendre en compte leur cumul dans l'analyse des infractions mais aussi dans le prononcé des peines. Cette carence juridique participe à nier la complexité de la réalité vécue par de nombreuses victimes de discriminations en France. Aujourd'hui, une femme perçue comme « noire » agressée en raison de son genre et de sa couleur de peau ou de son origine réelle ou supposée, risque de ne voir qu'un seul des critères de discrimination retenu par la justice, sinon aucun des deux. Ainsi, les décisions de justice ne parviennent pas à saisir juridiquement cette réalité dans la mesure où elle demeure absente du droit. Dans bien des cas, ce n'est pas seulement le genre, l'origine ou la religion qui sont en cause, mais l'ensemble de ces critères qui se cumulent. C'est précisément ce cumul qui rend la discrimination intersectionnelle invisible aux yeux de la justice française. C'est pourtant ce cumul de discriminations qui a conduit la juriste Kimberlé Crenshaw à forger la notion d'« intersectionnalité » à l'occasion de l'affaire General Motors. En l'espèce, cinq femmes noires portent plainte contre leur employeur pour discrimination sexiste et raciste. Effectivement, certains emplois étaient ouverts aux hommes noirs, quand d'autres uniquement aux femmes blanches. En ce sens, aucun poste n'était prévu pour les femmes racisées, qui ne pouvaient de facto postuler à aucun des emplois proposés. En ce sens, le concept d'intersectionnalité montre que si la législation échoue à prendre en compte les discriminations dont souffrent les femmes noires, c'est que, mettant en œuvre de manière séparée les catégories de genre et de race, elle ne parvient pas à se saisir de l'expérience sociale particulière des femmes noires. Il ne suffit pas de prendre en compte les discriminations au cas par cas pour réellement protéger les citoyens - et surtout les citoyennes - de toutes les discriminations qu'ils - et surtout elles - peuvent subir. Il est donc indispensable d'intégrer la notion d'intersectionnalité dans les décisions de justice. Cette cécité a des conséquences : de nombreuses femmes noires, arabes, musulmanes ou perçues comme telles peinent à obtenir gain de cause quand elles subissent des injustices, puisqu'aucune base légale ne prend suffisamment en compte la particularité de leurs réalités. Cet enjeu n'est pas nouveau. Si la question de l'intersectionnalité est absente du droit français, la notion est reprise par la Commission européenne qui l'a d'ailleurs intégrée au programme Égalité 2020-2025. De même, la CNCDH, dans son dernier rapport, formule une recommandation claire : que les magistrates et magistrats prennent en compte « le croisement, le cumul et l'intersectionnalité des discriminations » et qu'ils en assurent la reconnaissance, « notamment dans le prononcé des peines ». Aussi, il lui demande quelles mesures concrètes il compte mettre en œuvre pour faire suite aux recommandations de la CNCDH et prendre en compte la question de l'intersectionnalité dans le traitement des affaires judiciaires relatives aux discriminations.

Données clés

Auteur : M. Antoine Léaument

Type de question : Question écrite

Rubrique : Discriminations

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date :
Question publiée le 8 juillet 2025

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