Cadre normatif international des armes autonomes
Question de :
M. Jean-Paul Lecoq
Seine-Maritime (8e circonscription) - Gauche Démocrate et Républicaine
M. Jean-Paul Lecoq appelle l'intention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le cadre normatif international des armes autonomes. Les 12 et 13 mai 2025 avait lieu la première session de discussions informelles sur les armes autonomes à l'Assemblée générale des Nations-Unies, en application de la résolution 79/L.77 votée en décembre 2024 par une écrasante majorité d'États, dont la France. En juin, le président du groupe d'experts gouvernementaux (GGE) sur les armes autonomes de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) a organisé des consultations des hautes parties contractantes en préparation de la réunion du GGE du 1er au 5 septembre. Alors que l'autonomisation croissante des systèmes d'armements est aujourd'hui visible dans les conflits en Ukraine ou à Gaza, il est plus que jamais urgent d'adopter des normes internationales pour encadrer le recours à l'intelligence dans les systèmes d'armes et notamment d'interdire les armes qui sélectionneraient des cibles et engageraient la force sans contrôle humain significatif, ainsi que les armes autonomes antipersonnel, c’est-à-dire celles qui seraient, à l'image des mines antipersonnel, activées par la présence d'une cible humaine. Le CICR et le Secrétaire général des Nations Unies appellent à l'adoption de nouvelles normes de droit international pour définir les conditions dans lesquelles l'intelligence artificielle dans les armes peut être autorisée et prévenir les graves risques de violations du droit international et les menaces sur la sécurité mondiale (prolifération, piratage, escalade incontrôlée des conflits etc.) La France a été pionnière dans l'engagement de discussions au niveau international sur le sujet, en 2013. Elle a aussi porté une déclaration pour le maintien du contrôle humain sur l'usage de la force, dans le cadre du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle de février 2025, renouvelant son engagement pour le respect du droit international en la matière. Toutefois, lors des discussions informelles de mai 2025 à l'AGNU, elle n'a pas pris la parole et s'est contentée de se joindre à une déclaration commune. Pourtant, la France s'impose elle-même des limites sur le développement des armes autonomes (avis du comité d'éthique de la Défense sur l'intégration de l'autonomie dans les systèmes d'armes létaux, avril 2021). Elle a donc tout intérêt à ce que des règles internationales juridiquement contraignantes s'imposent à un maximum d'États dans le monde. Ainsi, il lui demande si la France appellera à l'ouverture de négociations en vue d'un traité international pour réguler les armes autonomes lors de la prochaine réunion du GGE de la CCAC de Genève. Il lui demande également si la France soutiendra activement les futurs travaux sur les armes autonomes dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Réponse publiée le 2 septembre 2025
La France a voté en faveur de la résolution 79/239 en 2024. Elle a marqué à cette occasion sa vigilance à ce que les consultations informelles initiées par cette résolution contribuent à remplir le mandat du Groupe d'experts gouvernementaux sur les technologies émergentes dans le domaine des systèmes d'armes létaux autonomes (GGE SALA) établi au sein de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC), et ne dupliquent pas, ni ne fragilisent ses travaux. Cette position est motivée par le fait que la priorité doit être accordée à la finalisation des travaux du GGE SALA, dont le mandat actuel arrivera à son terme en 2026, dans un contexte géopolitique difficile. En effet, le GGE dispose aujourd'hui d'une base de travail solide. Les progrès enregistrés lors des dernières sessions doivent nous inciter à concentrer nos efforts sur ces discussions afin d'aboutir à des résultats significatifs en 2026. La France a également participé aux consultations informelles mandatées par la résolution et a pris note des nombreux briefings d'experts présentés lors de celles-ci, et de celui du président du GGE. Ces consultations ont permis d'informer l'ensemble des membres de l'ONU des travaux importants menés par le GGE SALA, et d'inviter les États qui ne sont pas encore Parties contractantes à adhérer à la CCAC. La France regrette toutefois que les Etats non-parties à la CCAC n'aient que très peu investi ces consultations pour exprimer leurs positions. La France rappelle son attachement au cadre offert par la CCAC dont l'objectif (qui est de trouver un équilibre entre nécessités militaires et considérations humanitaires) ainsi que la structure unique (qui permet un échange d'expertise entre plusieurs parties prenantes) de même que l'adaptabilité (possibilité d'adopter de nouveaux protocoles en lien avec les développements des moyens de guerre) en font le forum approprié pour traiter de cette question. La France considère ainsi qu'il est impératif de poursuivre jusqu'à son terme les travaux menés dans le cadre du GGE dont le mandat court jusqu'en novembre 2026, afin de formuler des éléments constitutifs d'un potentiel instrument de régulation internationale relatif aux systèmes d'armes létaux autonomes. Sur le fond, la France considère que ce futur instrument devrait reposer sur une double approche qui établit une distinction entre les systèmes devant être interdits et ceux devant faire l'objet de mesures de régulation. Dans un premier temps, la France considère que les systèmes d'armes létaux autonomes ne pouvant garantir un emploi conforme au droit international humanitaire – à savoir les systèmes qui sont intrinsèquement indiscriminés ; les systèmes dont les effets ne peuvent être limités, anticipés et contrôlés ; les systèmes de nature à causer des blessures superflues ou des souffrances inutiles ; et les systèmes fonctionnant en dehors de tout contrôle humain et d'une chaîne de commandement responsable (systèmes d'armes létaux pleinement autonomes) – devraient être prohibés. Elle a rappelé, conjointement avec 26 autres Etats partenaires, son engagement à ne pas utiliser de tels systèmes dans la déclaration de Paris sur le maintien du contrôle humain dans les systèmes dotés d'IA lors du Sommet pour l'Action sur l'IA en février 2025. Dans un second temps, les systèmes d'armes létaux intégrant de l'autonomie, auxquels le commandement militaire peut confier l'exécution de tâches liées à des fonctions critiques (identification, sélection et engagement de la cible) dans un cadre d'action spécifique (systèmes d'armes létaux "partiellement" autonomes), devraient être réglementés par la mise en œuvre de mesures nationales appropriées tout au long du cycle de vie du système afin de garantir, notamment, que leur développement et leur utilisation se feront conformément au droit humanitaire international, tout en préservant le contrôle humain ainsi que la responsabilité humaine et l'obligation de rendre des comptes. La France reste pleinement engagée sur ce sujet et continuera à contribuer activement aux travaux menés au sein du GGE. Elle appelle l'ensemble des Hautes parties contractantes à s'engager de manière constructive dans ces débats et à identifier les points de convergence qui permettront de bâtir un futur instrument de régulation internationale des SALA dans le cadre de la CCAC. Quand viendra le moment de discuter d'un nouveau mandat pour le GGE pour la période postérieure à 2026, la France promouvra un nouveau mandat ambitieux, un mandat de négociation en vue de l'élaboration de l'instrument juridique, en cohérence avec notre position constante favorable à ce que cet instrument prenne la forme d'un protocole additionnel à la CCA, juridiquement contraignant. Pour mémoire, la France a pleinement pris la mesure des enjeux stratégiques, juridiques et éthiques soulevés par le développement de possibles systèmes d'armes létaux autonomes (SALA). Elle a joué, et continue à jouer, un rôle moteur dans les débats menés sur le sujet. C'est ainsi à l'initiative de la France que la question des SALA a été introduite en 2013 aux Nations unies, dans l'enceinte de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) à Genève. A l'échelle nationale, la France a rapidement mené des réflexions sur ce sujet afin de structurer sa position. En 2019, à travers le discours de la ministre des Armées, la France a annoncé qu'elle refuse de confier la décision de vie ou de mort à une machine qui agirait de façon pleinement autonome et échapperait à tout contrôle humain. En 2021, le Comité d'éthique de la défense (COMEDEF) a publié un avis spécifiquement sur le sujet des SALA et pose des grands principes directeurs. Aujourd'hui, la France continue de contribuer activement aux travaux menés dans le cadre du GGE SALA établi au sein de la CCAC, en formulant des propositions substantielles pour l'élaboration d'un ensemble d'éléments constitutifs d'un potentiel futur instrument de régulation internationale débattus dans le cadre du texte évolutif de la présidence. La France a également soutenu l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies de deux résolutions relatives aux SALA. En 2023, elle a voté en faveur de la résolution 78/241, qui souligne l'urgence de répondre à ces enjeux. Conformément à cette résolution et dans la continuité de son engagement résolu sur le sujet, la France a transmis ses vues au Secrétaire général des Nations unies sur les moyens d'agir pour faire face aux défis posés par ces potentiels systèmes. Dans ce rapport, le Secrétaire général enjoint les Hautes Parties Contractantes à la CCAC d'œuvrer avec diligence pour que le GGE s'acquitte de son mandat dès que possible, et les autres Etats à rejoindre la CCAC.
Auteur : M. Jean-Paul Lecoq
Type de question : Question écrite
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères
Ministère répondant : Europe et affaires étrangères
Dates :
Question publiée le 8 juillet 2025
Réponse publiée le 2 septembre 2025