Disponibilité des statistiques des violences commises par des forces de l'ordre
Publication de la réponse au Journal Officiel du 16 décembre 2025, page 10339
Question de :
Mme Danièle Obono
Paris (17e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
Mme Danièle Obono attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la communication incomplète des données statistiques relatives aux violences commises par des agents des forces de l'ordre. Dans un État de droit, la transparence et l'exactitude de l'information publique sont des conditions essentielles de la légitimité démocratique. S'agissant des violences commises par des personnes dépositaires de l'autorité publique (PDAP), il est d'autant plus crucial que les institutions produisent et diffusent des données complètes, actualisées et accessibles. L'existence de mécanismes de contrôle ne saurait être pleinement effective sans un accès à des statistiques fiables, permettant d'évaluer l'ampleur des faits signalés, la réponse des institutions et l'évolution des pratiques. Cette exigence est d'autant plus importante que le recours à la force par l'État, souvent qualifié de « monopole de la violence légitime », appelle une vigilance particulière. Cette formule, héritée de Max Weber, ne saurait justifier un brouillage des responsabilités : si l'usage de la force peut être légalement encadré, il ne peut être tenu pour légitime qu'à condition d'être contrôlé, proportionné et soumis à la critique démocratique. Une information publique transparente sur les violences illégitimes - ou supposées telles - est dès lors indispensable. Elle constitue un gage de confiance entre la population et les forces de l'ordre, mais aussi une obligation au regard des engagements internationaux de la France en matière de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. À ce titre, la production régulière de données officielles constitue un outil fondamental de redevabilité démocratique. En l'espèce, la communication gouvernementale se réfère le plus souvent aux seules statistiques produites par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), y compris devant des instances de contrôle comme le Parlement ou les organes des Nations unies. Or ces chiffres sont partiels et ne reflètent pas l'ensemble des faits signalés ni les suites judiciaires éventuellement données. D'autres sources de données, plus complètes, existent. En 2019, la France a ainsi transmis au Comité contre la torture des Nations unies un tableau issu de la « base victimes » du ministère de l'intérieur, recensant les faits de violences commis par des personnes dépositaires de l'autorité publique (PDAP) enregistrés par les services de police et de gendarmerie sur la période de janvier 2016 à novembre 2019. Depuis, cette base n'a fait l'objet d'aucune actualisation publiée et ne permet pas, en l'état, d'analyser les suites judiciaires données à ces affaires. Par ailleurs, en 2022, le journal Politis a publié des données extraites du logiciel « Cassiopée » du ministère de la justice, qui recense les affaires de violences par PDAP enregistrées par les parquets, les décisions prises et, en cas de classement sans suite, les motifs de ce classement. Ces données, couvrant la période 2016-2021, constituent un outil pertinent pour évaluer la réponse pénale apportée. Toutefois, seules les affaires avec auteur identifié ont été communiquées, ce qui limite leur portée. Au regard de ces éléments, elle lui demande s'il est envisagé de publier une actualisation complète de la base « victimes » du ministère de l'intérieur ainsi que de rendre accessible l'ensemble des données contenues dans le logiciel « Cassiopée », incluant les affaires avec auteurs connus et inconnus, accompagnées d'un niveau de détail suffisant sur les infractions concernées. En outre, elle lui demande de communiquer le nombre annuel d'affaires de violences commises par personnes dépositaires de l'autorité publique (PDAP), y compris homicides, enregistrées dans la « base victimes » du ministère de l'intérieur ainsi que le nombre annuel d'affaires de violences policières (y compris homicides) traitées par d'autres services de police que les inspections nationales (IGPN et IGGN).
Réponse publiée le 16 décembre 2025
La locution « violences policières » peut laisser entendre que les forces de sécurité intérieure seraient intrinsèquement violentes et agiraient de manière arbitraire, et que les « violences » seraient institutionnalisées, c'est-à-dire l'expression d'un État qui serait structurellement un instrument d'oppression et de violence. Or, la France est parmi les États de droit les plus protecteurs du monde. Les policiers et les gendarmes sont autorisés à utiliser leurs armes et la force en vertu du droit, notamment celui qui émane du législateur, en application en particulier de l'article 12 de la Déclaration de 1789. L'article R. 434-18 du code la sécurité intérieure prévoit que la force est employée « dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c'est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. [Le policier ou le gendarme] ne fait usage des armes qu'en cas d'absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ». Il convient en outre de dénoncer l'argumentation fréquente mais erronée qui consiste à faire un amalgame entre l'usage de la force (physique ou armée), prévu et encadré juridiquement, et de prétendues « violences policières ». En effet, le caractère légitime de l'usage de la force n'est pas déterminé uniquement par le résultat qu'il produit. Ainsi, l'usage de la force et des armes peut être légitime, car nécessaire et proportionné, et pourtant causer des blessures. À l'inverse, il peut être illégitime, car non nécessaire ou disproportionné, sans causer aucune blessure. Il est important également de souligner que les violences qui visent les policiers et les gendarmes sont, elles, en vertu du droit, toujours illégales (hors cas de légitime défense). Ces violences sont pourtant croissantes et tendent à se banaliser, ce qui justifie une action sans faille de l'État pour combattre ce fléau. L'expression « violences policières » ne méconnaît pas seulement le cadre juridique dans lequel interviennent les forces de l'ordre. Elle méconnaît aussi les nombreux contrôles auxquels elles sont soumises. Elle méconnaît la réalité d'institutions - police nationale et gendarmerie nationale - qui sont totalement engagées dans la transparence et la communication, s'attachant à rendre compte de leurs missions devant le Parlement, les juridictions, des autorités administratives indépendantes, la presse, des associations, etc. Il peut survenir que des violences illégitimes soient commises par des membres des forces de l'ordre. Des fautes, individuelles, sont en effet commises. Il en est ainsi dans toute profession. Elles font l'objet d'enquêtes administratives et, chaque fois que cela est justifié, de procédures disciplinaires dans le respect du droit, notamment le code général de la fonction publique et le code de la défense. Elles font aussi, le cas échéant, l'objet d'enquêtes sous le contrôle de l'autorité judiciaire, et peuvent donc aboutir à des condamnations pénales. Il doit être rappelé que toute plainte d'une personne s'estimant victime de violences illégitimes est obligatoirement recueillie en application de l'article 15-3 du code de procédure pénale et que c'est donc in fine l'autorité judiciaire qui se prononce sur la légitimité de l'usage de la force. Loin d'une quelconque impunité, plusieurs dispositifs permettent à quiconque, en France, de dénoncer un comportement qu'il estimerait illégitime de la part d'un policier ou d'un gendarme (Défenseur des droits, plateformes de signalement de la police et de la gendarmerie nationale administrées par les inspections générales). En 2024, 4 856 signalements relevant du périmètre police nationale ont été reçus sur la plateforme, dont 1 063 portant sur des allégations de violences. S'agissant des personnes (hors policiers) blessées et tuées à l'occasion d'une mission de police, la police nationale a décidé en 2018 de se doter d'un outil permettant de les comptabiliser. Alors qu'il s'agit d'un sujet faisant l'objet d'interrogations minoritaires mais régulières, la police nationale ne disposait pas d'un outil institutionnel de recensement permettant de répondre avec fiabilité à ce type de demandes. À l'initiative de certains organismes nationaux ou internationaux, des chiffres établis à partir de méthodologies approximatives et donnant lieu à des interprétations biaisées étaient en outre régulièrement diffusés. La nécessité de disposer de données solides et exhaustives s'est ainsi imposée en tant que vecteur de transparence, d'objectivité et de rigueur et pour démentir les allégations fausses ou erronées. L'outil mis en place à partir de 2018 de manière expérimentale a été pérennisé par un arrêté du 14 décembre 2023 portant création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « Traitement de suivi statistique et d'analyse des causes des blessures graves et des décès survenus au cours de l'exercice des missions de la police nationale » (TSBD). Il recense les particuliers blessés ou décédés à l'occasion de missions de police. Il n'a pas pour objet d'apprécier la légitimité des actions. Ce recensement, en outre, est décorrélé de la notion d'imputabilité, prenant en compte les faits dès lors qu'ils sont survenus à l'occasion d'une mission de police (ex. : overdose lors d'une interpellation). L'inspection générale de la police nationale, chargée de cet outil, l'alimente sur la base d'un formulaire standardisé que lui adressent ses délégations territoriales et les services opérationnels. Les notions de blessures ou de décès constatés à l'occasion de missions de police sont les plus larges possibles. Elles incluent les blessures et décès du fait de la personne elle-même (ex. : défenestration pour échapper à une interpellation, etc.). Le TSBD, dont les données font l'objet d'un important travail de fiabilisation, constitue aujourd'hui la source institutionnelle du ministère de l'intérieur en la matière. En 2024, l'IGPN a enregistré dans le TSBD 115 déclarations, contre 140 en 2023 (- 17,8 %) et 111 en 2022 (+ 3,6 %). 47 rendent compte de personnes décédées, contre 36 en 2023 et 38 en 2022. 68 sont relatives à des personnes gravement blessées, contre 104 en 2023 et 73 en 2022. Par ailleurs, 90 déclarations de blessures graves ou de décès (78,3 %) ont pour contexte des faits qui se déroulent en dehors des locaux de police. 25 déclarations (15 décès et 10 blessés) portent sur des faits survenus dans des locaux de police, contre 17 en 2023 (4 décès et 13 blessés). Ces chiffres sont rendus publics dans le rapport annuel de l'IGPN. En revanche, il n'appartient pas au ministère de l'intérieur de communiquer sur « les suites judiciaires données à ces affaires ». La transparence de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) est inhérente à la redevabilité qui est due à tout citoyen, conformément à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, il est rendu compte chaque année de son action à travers la publication d'un rapport d'activité, présenté à la presse et largement diffusé. Ce rapport a également été présenté pour la première fois en 2023 à la représentation nationale (commission des lois de l'Assemblée nationale). Les statistiques qu'il contient sont sincères et fiables. L'absence de mention des suites judiciaires tient au fait que ces précisions relèvent de la compètence du ministère d ela justice. Les procédures judiciaires issues des mises en cause de gendarmes peuvent conduire à des instructions longues et complexes qui ne permettent pas un jugement à bref délai. La création d'une plateforme des signalements des particuliers abritée au sein de l'IGGN a été voulue par le Premier ministre dès 2013, afin de donner à la population la possibilité de contacter directement l'organe de contrôle interne de la gendarmerie nationale, œuvrant ainsi au renforcement du lien de confiance qui unit la gendarmerie à ses concitoyens. C'est donc un outil majeur de contrôle des éventuelles dérives déontologiques, qui suscite l'intérêt croissant du public, comme en atteste l'augmentation régulière du nombre de signalements reçus chaque année. Cette progression ne signifie pas pour autant qu'il y a davantage de manquements, manquements dont la quantité est, par ailleurs, stable. Elle découle davantage de la mise en place des outils mis à la disposition du public par une institution qui se veut plus proche de la population. Elle est également l'expression d'une plus grande sensibilité de nos concitoyens aux écarts de comportement des membres des forces de l'ordre et aux réponses qui y sont apportées. En ce qui concerne les violences illégitimes commises par des gendarmes pour 2023, 66 signalements fondés sur ce motif ont été portés à la connaissance de l'IGGN (sur un total de 3294). Après enquête, 62 signalements de violences illégitimes n'étaient finalement pas avérés. Au cours de l'année 2024, 54 signalements fondés sur ce motif ont été portés à la connaissance de l'IGGN (sur un total de 4209), 52 ne sont pas caractérisés. Ces chiffres sont également à mettre en relation avec les deux millions d'interventions réalisées par la gendarmerie nationale. En ce qui concerne les personnes blessées et décédées, le rapport d'activité de l'IGGN détaille les circonstances dans lesquelles un tiers a été tué ou est décédé à la suite d'une action directe ou indirecte de la gendarmerie nationale (22) ou dénombre les situations ayant généré une ITT supérieure ou égale à 8 jours (25). La qualification des infractions relève de la compétence exclusive des procureurs de la République et des juges éventuellement saisis par le parquet. Au cours de l'année 2024, 5463 militaires de la gendarmerie ont fait l'objet d'agressions physiques, dont 2428 avec arme. Enfin, le traitement de données issues de CASSIOPEE, application du ministère de la justice, relève de la responsabilité et la compténce du ministère de la justice. Il est par ailleurs contraint, au-delà des règles propres au traitement de données, par les articles R. 15-33-66-8 et R. 15-33-66-9 du code de procédure pénale.
Auteur : Mme Danièle Obono
Type de question : Question écrite
Rubrique : Sécurité des biens et des personnes
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Signalement : Question signalée au Gouvernement le 8 septembre 2025
Dates :
Question publiée le 8 juillet 2025
Réponse publiée le 16 décembre 2025