Saccage de l'agriculture française par la Commission européenne
Question de :
M. Nicolas Dragon
Aisne (1re circonscription) - Rassemblement National
M. Nicolas Dragon interroge Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le saccage de l'agriculture française par des décisions de la Commission européenne. Cette question fait suite à l'annonce récente de la Commission européenne d'autoriser l'Ukraine à importer sur le territoire de l'Union européenne et sans droits de douane 100 000 tonnes par an de sucre issue de betteraves sucrières. Ce volume, bien qu'inférieur au contingent exceptionnellement élevé de 500 000 tonnes des deux dernières années, reste cinq fois supérieur au quota en vigueur avant la guerre en Ukraine soit 20 070 tonnes. Or cette ouverture continue du marché européen au sucre ukrainien a déjà provoqué, ces dernières années, un effondrement des prix communautaires, entraînant une perte de compétitivité pour les producteurs européens et la fermeture de vingt sucreries dans l'Union depuis 2018, dont 6 en France. Ce nouveau quota risque donc d'aggraver une situation déjà fragile pour les planteurs de betteraves français, à l'heure où le marché européen est considéré comme mature et sans capacité d'absorption supplémentaire sans impact négatif sur la production locale. De plus, il est important de souligner que cette importation bénéficiera principalement à une dizaine d'agroholdings de plusieurs centaines de milliers d'hectares, souvent détenus par des capitaux étrangers et utilisant jusqu'à 30 produits phytosanitaires interdits dans l'Union européenne, parfois depuis des décennies. Mettre en concurrence les exploitations familiales françaises ayant une superficie moyenne de 140 hectares avec ces structures industrielles de 200 000 hectares, sans harmonisation réelle des normes de production, soulève de sérieux problèmes de loyauté des échanges et de durabilité économique. Ainsi, il lui demande, dans un contexte de préservation de l'environnement et de production alimentaire sans recours systématique aux produits phytosanitaires, engagement que la France et l'Union européenne poursuivent depuis plusieurs années, ainsi que dans un souci de préserver l'agriculture française, comment le Gouvernement peut faire entendre l'intérêt des agriculteurs français, en particulier des producteurs de betteraves sucrières, face à la mise en place, organisée par la Commission européenne, d'une concurrence déloyale avec l'autorisation de mise sur le marché européen d'un sucre ne respectant pas les normes établies par l'Union européenne.
Réponse publiée le 2 décembre 2025
Afin de soutenir l'économie ukrainienne face à l'agression russe, l'Union européenne (UE), avec l'appui de la France, a instauré depuis juin 2022 une libéralisation temporaire des échanges commerciaux avec l'Ukraine. Cette mesure, prolongée pour une durée d'un an une première fois en juin 2023, puis une seconde fois en juin 2024 jusqu'au 5 juin 2025, a entraîné une forte hausse des importations agricoles en provenance d'Ukraine, notamment de sucre, suscitant de vives inquiétudes dans la filière sucrière française. Ces importations ont eu un impact à la baisse sur les prix européens du sucre à compter de la fin de l'année 2024. En 2025, les prix moyens du sucre, qui avaient atteint des sommets en 2023 et 2024 [plus de 800 euros par tonne (€/t)], restent cependant à un niveau supérieur à celui de la période précédant l'ouverture du marché au sucre ukrainien : les prix étaient avant juin 2022 inférieurs à 450 €/t, ils sont actuellement à 540 €/t (mai 2025). Au printemps 2024, la France a soutenu et obtenu l'intégration de mesures de sauvegarde renforcées dans la dernière prolongation (jusqu'au 5 juin 2025) du règlement sur les mesures commerciales autonomes. Parmi ces mesures, un mécanisme dit de « frein d'urgence » a été instauré pour sept produits agricoles jugés particulièrement sensibles pour les marchés européens, dont le sucre pour lequel les importations à droits nuls étaient limités à 262 252 tonnes sur l'année 2024 et 109 438 tonnes entre le 1er janvier et le 5 juin 2025. À partir du 6 juin 2025, les échanges UE–Ukraine ont de nouveau été encadrés par l'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) de 2014, avec des contingents douaniers réduits à 7/12ème pour le reste de l'année 2025, soit 11 708 tonnes pour le sucre. Le 4 juillet 2025, la Commission européenne a annoncé avoir conclu un accord avec les autorités ukrainiennes pour réviser l'ALECA au titre de son article 29. L'accord prévoit notamment l'augmentation du contingent pour le sucre de 20 070 à 100 000 tonnes annuelles. Ces concessions tarifaires supplémentaires sont par ailleurs conditionnées à la reprise par l'Ukraine de certaines normes européennes pertinentes d'ici 2028. Sont également prévues la mise en place d'une clause de sauvegarde pour protéger les filières européennes en cas de perturbation de marché, ainsi que des mesures d'accompagnement pour aider l'Ukraine à conquérir (ou reconquérir) des marchés hors UE. Cet accord n'est certes pas pleinement satisfaisant mais il préserve les intérêts français et européens, à la fois par rapport à la situation des contingents de sucre qui prévalait antérieurement, dans le cadre des mesures commerciales autonomes, comme par rapport aux concessions qui étaient initialement envisagées et auxquelles la France s'est opposée. Par ailleurs, il apparaît que des fermetures de sucreries en France et en Europe ne sont pas directement et nécessairement liées à l'ouverture du marché européen aux importations de sucre ukrainien. En France, au moins cinq des six fermetures sont sans lien avec les importations en provenance d'Ukraine : quatre sucreries ont fermé en 2020 (soit avant la mise en place des mesures de soutien à l'Ukraine) en raison de la baisse des prix européens (et mondiaux) ; en 2024 une sucrerie a fermé en raison de problèmes techniques et d'une situation financière dégradée depuis un certain temps, sans lien avec l'Ukraine. Au niveau européen, 14 fermetures de sucreries ont eu également lieu en 2020, sans lien avec l'Ukraine. Enfin, il convient de préciser que si l'Ukraine venait à adhérer à l'UE à l'avenir, elle serait tenue d'adopter intégralement l'acquis communautaire, c'est-à-dire l'ensemble des normes de production et réglementations en vigueur dans l'UE. À l'heure actuelle, les produits agricoles ukrainiens qui entrent sur le territoire de l'UE doivent toutefois respecter, au même titre que l'ensemble des produits agricoles importés dans l'UE quelles que soient leurs origines, les normes européennes de commercialisation, qui préservent la santé et la sécurité des consommateurs européens.
Auteur : M. Nicolas Dragon
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture, souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture, agro-alimentaire et souveraineté alimentaire
Dates :
Question publiée le 15 juillet 2025
Réponse publiée le 2 décembre 2025