Conséquences de la dématérialisation des demandes de titres de séjour
Question de :
Mme Mélanie Thomin
Finistère (6e circonscription) - Socialistes et apparentés
Mme Mélanie Thomin alerte M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les conséquences du recours à la dématérialisation pour les demandes de titres de séjour via la plateforme « Administration numérique pour les étrangers en France » (ANEF). La généralisation de cette procédure de dématérialisation a provoqué, dans certains départements, la fermeture des accueils physiques en préfecture pour les personnes étrangères, limitant fortement l'accès aux démarches administratives essentielles, pour des demandes ou des renouvellements de titres de séjour. Dans ce contexte, La Cimade Bretagne-Pays de Loire a récemment saisi la justice pour contester les pratiques des préfectures d'Ille-et-Vilaine et du Finistère concernant les demandes de titres de séjour. L'association demande l'application d'une injonction rendue le 30 septembre 2023 par le tribunal administratif de Rennes, qui contraignait les préfectures d'Ille-et-Vilaine et du Finistère à cesser le recours systématique à la dématérialisation et à mettre en place des solutions alternatives. En effet, si cette réforme s'inscrit dans une logique de simplification administrative, elle engendre depuis son entrée en vigueur une série d'obstacles concrets pour les usagers. Outre un accompagnement humain insuffisant, les usagers de la plateforme ANEF sont confrontés à de nombreuses difficultés : dysfonctionnements techniques récurrents bloquant le dépôt ou l'accès aux dossiers, absence d'informations sur l'état d'avancement des démarches, erreurs fréquentes lors de l'envoi de pièces justificatives. Le Conseil d'État, dans une décision du 3 juin 2022, s'est d'ailleurs prononcé sur la légalité de ce dispositif, en rappelant que la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour doit garantir un accès effectif aux droits des usagers. Pour cela, il préconise la mise en place de dispositifs d'accompagnement adaptés ainsi qu'une solution alternative non dématérialisée, afin que la dématérialisation ne constitue pas un obstacle à l'exercice de ces droits. Ces difficultés ont également été documentées par le Défenseur des droits, qui alerte depuis plusieurs années sur les obstacles importants auxquels sont confrontés les ressortissants étrangers dans le traitement de leurs demandes de titres de séjour. Dans son rapport L'administration numérique pour les étrangers en France publié en décembre 2024, le Défenseur des droits alerte d'ailleurs sur la hausse significative des réclamations des ressortissants étrangers dans l'accès à leurs droits. Alors qu'elles représentaient seulement 10 % des saisines en 2019 et 2020, elles ont atteint 28 % en 2023. Parmi celles-ci, plus de 75 % concernent des difficultés rencontrées avec les services préfectoraux, dans le cadre d'une demande de première délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour. En outre, Mme la députée a récemment été interpellée par une habitante de sa circonscription au sujet de la situation administrative de son mari. Pleinement inséré sur les plans professionnel et social, ce dernier, salarié en CDI dans le secteur du bâtiment, est en attente de renouvellement de son titre de séjour. Sans régularisation rapide, l'employeur serait contraint de mettre fin à son contrat de travail et de procéder à son licenciement, sous peine de se retrouver en infraction avec la législation relative à l'emploi des travailleurs étrangers. Cette situation illustre concrètement les conséquences que peuvent engendrer les dysfonctionnements de la dématérialisation des démarches administratives. Au vu de ces éléments, elle lui demande quelles mesures le Gouvernement entend mettre en œuvre pour réduire les délais de traitement des demandes de titres de séjour. Elle l'interroge en particulier sur les suites qu'il entend donner aux différentes recommandations formulées par le Défenseur des droits, notamment celle de doter chaque préfecture d'un service d'accompagnement joignable par téléphone, ainsi que celle de renforcer durablement les moyens humains affectés aux préfectures.
Réponse publiée le 9 septembre 2025
La dématérialisation des procédures de demande de titre de séjour, de document de voyage et de circulation dans l'administration numérique des étrangers en France - ANEF s'est effectuée progressivement, depuis 2020. Ce déploiement progressif a été effectué afin de répondre aux enjeux de dématérialisation et de transformation publique, mais également afin de répondre à un enjeu d'obsolescence des technologies utilisées jusqu'à présent. En parallèle des travaux sur le nouveau système d'information, l'AGDREF doit continuer à fonctionner afin de maintenir la continuité du service. Une partie non négligeable des difficultés techniques résulte du maintien de ce système d'information historique. Son décommissionnement, actuellement en cours, permettra de réduire ces difficultés techniques et le déploiement des dernières fonctionnalités sur l'ANEF permettra de les résoudre durablement. Dans l'attente de la résolution des difficultés évoquées, le ministère de l‘intérieur a déployé un plan d'actions pour lutter contre les ruptures de droits. Ce plan s'articule autour de quatre leviers complémentaires. Un volet réglementaire, un volet informatique, un volet de pilotage du réseau et du renforcement des moyens humains et un volet communication, chacun visant à minimiser les sources de fragilité identifiées suite à la mise en place de l'ANEF. Sur le volet réglementaire, à la suite de la décision du Conseil d'Etat du 3 juin 2022, une procédure de prise en charge des usagers bloquées sur l'ANEF a été mise en place par la direction générale des étrangers en France - DGEF et le centre de contact citoyens - CCC. Les usagers concernés se signalent auprès du CCC en indiquant les entraves manifestes du dépôt de la demande, puis sont pris en charge par les équipes de la DGEF, en lien avec la préfecture territorialement compétente afin qu'une solution alternative au dépôt dématérialisé leur soit proposée rapidement. En 2024, le centre de contact citoyens de France Titres a transmis 4 377 signalements à la DGEF. En parallèle, 1 120 942 demandes ont été déposées sur l'ANEF. Les signalements non résolus par le CCC représentent donc 0.4 % du volume des demandes. Lorsque le blocage technique est constaté en préfecture et signalé par le point d'accueil numérique (PAN), l'usager est également systématiquement orienté vers une solution alternative au dépôt en ligne. Par ailleurs, une circulaire du 4 août 2023 a été diffusée à l'ensemble des préfectures afin de leur donner des orientations claires sur le double circuit (point d'accueil numérique et centre de contact citoyen) qui s'offre à l'usager en cas de blocage technique dans le dépôt de la demande dans l'ANEF. Enfin, l'instruction du 4 août 2024 recommande de subordonner l'accès au point d'accueil numérique (PAN) à une prise de rendez-vous préalable pour pouvoir qualifier les demandes et organiser la mise à disposition des agents du service des étrangers, notamment dans le but de fournir un accompagnement « métier ». La majorité des structures proposent deux à trois modes de prise de rendez-vous en point accès numérique (PAN) ANEF : par téléphone, à l'accueil général de la préfecture, ou sur internet via un module de rendez-vous ou une adresse courriel dédiée de la préfecture. Sur le volet informatique, côté agents, le téléservice de l'ANEF comporte plusieurs fonctionnalités destinées à prévenir les ruptures de droits. Le système d'information facilite la possibilité pour les encadrants d'identifier les situations présentant un caractère d'urgence et d'en prioriser le traitement. Ce dispositif a été complété en août 2024, par la mise en service de filtres avancés, permettant à l'ensemble des agents d'identifier les étrangers demandeurs dont le titre ou l'attestation de prolongation d'instruction arrive à expiration. Coté usagers, un nouvel outil numérique visant à prévenir les situations de ruptures de droit a été développé également par le ministère de l'intérieur. Les usagers titulaires d'un titre de séjour dont le motif est disponible sur l'ANEF sont alertés par courriel et par SMS de l'arrivée à échéance prochaine de leur titre et du délai dans lequel leur demande de renouvellement doit être présentée. Sur le volet de pilotage du réseau et du renforcement des moyens humains, le ministère renforce la coopération entre les différentes parties prenantes par une communication plus fluide entre la Direction Générale des Étrangers en France (DGEF) et les préfectures. D'importants moyens sont ainsi mobilisés pour relever le défi de la transition numérique et renforcer la qualité du service rendu à l'usager. A cet égard, l'accompagnement au bénéfice des services des préfectures a été renforcé par les services centraux par le biais notamment de « missions d'appui et de conseil ». Ce dispositif facilite la détection et la résolution des anomalies techniques de manière coordonnée, permettant une réponse plus rapide et mieux adaptée aux difficultés rencontrées ainsi que la mise en œuvre de solutions de contournement si nécessaire. Par ailleurs, une cellule numérique du quotidien ANEF a été créée courant avril 2025 pour renforcer l'accompagnement des préfectures au changement. Cette cellule est accompagnée par une équipe technique qui prend en charge les anomalies sur place. Plusieurs déplacements ont déjà eu lieu et d'autres sont d'ores et déjà programmés. En matière de moyens le ministère de l'intérieur a doté d'effectifs supplémentaires les services « étrangers » en 2023 et 2024 (12 ETP en 2023 et 60 ETP en 2024, soit 72 sur 2 ans). Il a également doté d'effectifs pérennes supplémentaires les services d'accueil, notamment les PAN « étrangers » (5 ETP en 2023 et 9 en 2024, soit 14 ETP en 2 ans). Par ailleurs, lors d'un déplacement à Metz en novembre 2024, le ministre a annoncé la création de 101 ETP dans les préfectures dont une partie substantielle sera dédiée aux services étrangers. Il est à noter également qu'un plan de renfort triennal à hauteur de 570 vacataires (soit 190 par an) a été déployé au titre des années 2022 à 2024. En 2025, il a été décidé de maintenir à un niveau équivalent aux années précédentes, les renforts fléchés pour les services étrangers, soit 190 ETPT. Enfin, sur le volet « communication », un plan de communication nationale destiné aux usagers et aux services préfectoraux a été mis en œuvre depuis 2023. Chaque déploiement de nouvelles téléprocédures est assorti d'un dispositif d'accompagnement renforcé à l'égard des usagers et des préfectures à différentes étapes : 15 jours avant chaque mise en service, des outils de présentation dédiés sont adressés aux préfectures comprenant un guide « usagers », un guide « agents », une foire aux questions (FAQ), des « fiches métier » ainsi qu'un kit de communication destiné aux services préfectoraux (« prêt à publier ») sur les sites internet des préfectures avec une infographie actualisée répertoriant l'ensemble des procédures dématérialisées. 15 à 20 jours avant chaque mise en service, une démonstration aux responsables du centre de contact citoyen est effectuée afin de renforcer la compréhension de la téléprocédure et de mieux accompagner les usagers. 10 jours avant chaque mise en service, des démonstrations de la téléprocédure sont organisés en visioconférence par les équipes de la DGEF. Après chaque mise en service, des échanges réguliers sont organisés par la DGEF pour répondre aux interrogations des préfectures et faciliter la remontée des anomalies et d'éventuels besoin d'évolutions fonctionnelles. Par ce plan d'actions, le ministère réaffirme son engagement à garantir un accès équitable aux droits pour tous les usagers de l'ANEF.
Auteur : Mme Mélanie Thomin
Type de question : Question écrite
Rubrique : Étrangers
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 15 juillet 2025
Réponse publiée le 9 septembre 2025