Avenir du devoir de vigilance des entreprises
Question de :
Mme Dominique Voynet
Doubs (2e circonscription) - Écologiste et Social
Mme Dominique Voynet appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'avenir du devoir de vigilance des entreprises. Le 23 juin 2025, les représentants des États membres de l'Union européenne ont adopté la position du Conseil sur l'Omnibus I, proposée en février 2025 par la Commission européenne. Loin de constituer un compromis équilibré entre simplification administrative et maintien d'une régulation effective des entreprises, cette position participe a réduire dramatiquement l'objectif du devoir de vigilance européen (CSDDD). En proposant une limitation du devoir de vigilance aux seuls partenaires commerciaux directs, le Conseil ouvre la porte à des conséquences catastrophiques sur le terrain. En effet, les violations des droits humains et les atteintes à l'environnement les plus graves ayant souvent lieu au-delà du premier rang de partenaires commerciaux. De plus, le Conseil s'aligne sur la proposition de la Commission de ne plus harmoniser le régime de responsabilité civile, ce qui conduirait à une fragmentation des régimes juridiques selon les États membres, au détriment à la fois des victimes et des entreprises. La France a été pionnière en Europe en instaurant, avec la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, un devoir de vigilance imposant aux grands groupes l'identification, la prévention et la gestion des risques sur l'ensemble de leur chaîne de valeur. Cette loi engage la responsabilité des entreprises de plus de 5 000 salariés en France, ou de plus de 10 000 salariés en France et à l'étranger, en cas d'atteintes graves aux droits humains et à l'environnement, y compris lorsqu'elles sont le fait de leurs filiales directes ou indirectes. Or l'approche générale adoptée par le Conseil prévoit de relever les seuils d'application du devoir de vigilance, en limitant la réglementation aux entreprises réalisant plus d'1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires et en restreignant le devoir de vigilance aux seuls partenaires commerciaux directs. Par ailleurs, les États membres ont affaibli le volet climatique de la directive en affaiblissant l'obligation d'adoption de plan de transition climatique par les entreprises. Mme la députée souhaite savoir comment le Gouvernement via ses représentants au niveau européen, défendra le pilier fondamentale du régime de responsabilité civile et la nécessité d'exercer la vigilance au-delà du rang 1 des fournisseurs. Elle lui demande également de quelle manière il entend garantir la compatibilité de son cadre législatif avec la future directive européenne, sans affaiblir les avancées protectrices des droits humains et de l'environnement adoptées par les parlementaires français.
Réponse publiée le 2 décembre 2025
Le gouvernement français a mené les négociations sur la position du Conseil relative à la proposition de la Commission dite « Omnibus-1 », ou « Omnibus durabilité », avec l'objectif de renforcer la proportionnalité des textes couverts (alléger les exigences applicables aux PME et ETI), d'harmoniser les exigences entre les différents textes (notamment la directive CSDDD et la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, dite CSRD) pour réduire les incertitudes juridiques pouvant découler de ces textes et limiter, pour les entreprises, la charge administrative non-essentielle par rapport aux objectifs poursuivis. En ce sens, le gouvernement considère que le compromis trouvé le 23 juin dernier n'altère pas les objectifs initiaux d'établissement d'un devoir de vigilance européen des entreprises mais, par sa clarification et sa simplification, renforce son applicabilité. Ainsi : Concernant les vérifications sur les chaînes de valeur, la limitation des vérifications de vigilance aux partenaires directs est accompagnée de deux exceptions notables : Lorsque le statut de partenaire indirect résulte d'un arrangement manifeste visant à couvrir le statut de partenaire direct ; Lorsque l'entreprise assujettie à la CSDDD dispose, ou devrait être amenée à disposer, d'informations « objectives et vérifiables » qui suggèrent l'existence d'incidences négatives ou de risques d'incidences négatives sur les opérations d'un ou plusieurs partenaires indirects. L'évolution porte donc sur la suppression du caractère systématique des vérifications sur l'ensemble de la chaine de valeur sans limite de rang, qui constituait une charge excessive pour les entreprises sans efficacité démontrée mais avec une incertitude juridique réelle (la définition de partenaires indirects sur la chaine de valeur pouvant avoir une interprétation variable). Le nouveau dispositif est donc plus dynamique en permettant d'identifier et d'intervenir au-delà des partenaires directs lorsque des risques existent ou se matérialisent. Cela permet de supprimer la charge administrative des vérifications systématiques au profit d'un modèle de remontée d'informations et de ciblage des vérifications. Concernant les exigences de plans de transition climatique, elles ont été adaptées pour être harmonisées avec les exigences d'autres textes européens portant également sur l'établissement d'un plan de transition. Ces exigences ont également été clarifiées, simplifiées et formulées de façon à réduire l'incertitude juridique autour de termes pouvant donner lieu à des interprétations multiples (notamment la notion de « meilleurs efforts »). Ces adaptations ont permis de maintenir l'objectif initial : la création d'une obligation d'établir un plan de transition pour les entreprises. La France compte parmi les pays qui ont été les plus actifs pour maintenir cette obligation tout en adaptant son contenu aux autres textes portant sur le sujet et aux capacités effectives des entreprises à produire un tel plan, permettant ainsi d'éviter un affaiblissement plus significatif du texte et garantissant une meilleure applicabilité. Concernant les seuils d'assujettissement, ils ont été réhaussés afin de mieux cibler les entreprises qui ont un impact réel sur les chaines de valeur internationales : les grands groupes. Le nouveau seuil se rapproche désormais de celui de la loi française sur le devoir de vigilance, tout en restant inférieur et donc plus exigeant. Ainsi, la loi française prévoit un assujettissement à partir de 5000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde tandis que le compromis du Conseil fixe le seuil à 5000 salariés dans le monde et un chiffre d'affaires global de 1,5Md€. Concernant le régime de responsabilité civile des entreprises lié au devoir de vigilance. La France l'a instauré via la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance et était favorable à son extension au niveau européen via un régime harmonisé de responsabilité civile des entreprises. Le choix du Conseil et donc de la majorité des Etats a toutefois été, dans une volonté d'application du principe de subsidiarité, de renvoyer l'engagement de la responsabilité des entreprises aux principes de droit nationaux applicables en matière de responsabilité civile, sans créer de régime européen. Le texte de compromis a été approuvé le 23 juin par le Conseil qui se tient donc prêt pour des trilogues dès que possible avec le Parlement européen. La position du gouvernement dépendra alors du résultat de ces discussions. De même, les modalités d'intégration de la future CSDDD dans cadre législatif français seront examinées et discutées au moment des travaux de transposition, après l'adoption définitive du texte.
Auteur : Mme Dominique Voynet
Type de question : Question écrite
Rubrique : Entreprises
Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle, énergétique et numérique
Dates :
Question publiée le 22 juillet 2025
Réponse publiée le 2 décembre 2025