Question écrite n° 8840 :
Procès-équitable:alerte sur la configuration des salles d'audience en Guadeloupe

17e Législature

Question de : M. Christian Baptiste
Guadeloupe (2e circonscription) - Socialistes et apparentés

M. Christian Baptiste appelle l'attention de M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'organisation matérielle des salles d'audience pénales en Guadeloupe et plus particulièrement sur l'agencement de celles des tribunaux judiciaires de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, qui semble contrevenir aux exigences du droit à un procès équitable et au principe d'égalité des armes entre les parties. Dans ces deux juridictions, il est constaté de manière constante et durable que les avocats de la défense sont placés, selon les salles, soit au même niveau que les prévenus, soit directement parmi eux, tandis que le ministère public, représentant l'accusation, siège en position surélevée, à proximité immédiate du siège. Cette dissymétrie spatiale n'est pas neutre. Elle opère une hiérarchisation implicite mais manifeste entre les acteurs du procès pénal, en contradiction avec les principes fondamentaux du droit français et européen. Ce déséquilibre, pourtant matériel, revêt une portée éminemment symbolique : il altère la perception d'égalité entre les parties, donne à voir une proximité institutionnelle entre le parquet et le siège qui brouille la séparation des fonctions et relègue la défense à une place visuellement et symboliquement subalterne. Une telle configuration peut objectivement nourrir chez le justiciable un sentiment de partialité de l'institution, ce qui est contraire aux exigences d'apparence d'impartialité posées par la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, Piersack c. Belgique, 1982 ; De Cubber c. Belgique, 1984). L'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'Homme impose que tout procès pénal se déroule dans des conditions garantissant l'équité et l'égalité des armes. Il ne s'agit pas d'un simple principe formel : c'est une exigence de fond, que les juridictions doivent respecter dans l'organisation même de leurs audiences. En ce sens, la disposition physique des acteurs dans la salle d'audience participe de cette mise en scène judiciaire où le droit doit être non seulement rendu, mais aussi vu comme étant équitablement rendu. Ce principe a été rappelé dans une lettre officielle datée du 18 février 2014 par Mme Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux, qui écrivait explicitement que « la disposition matérielle des salles d'audience doit refléter l'égalité des parties au procès pénal, en évitant toute dissymétrie de traitement entre la défense et le ministère public ». Ces recommandations ministérielles, bien qu'anciennes, n'ont toujours pas été suivies d'effet en Guadeloupe. Cette inertie interroge, d'autant plus qu'en Martinique, le barreau de Fort-de-France s'est récemment opposé avec succès à un projet analogue de rehaussement du parquet, en obtenant une révision conforme aux exigences du procès équitable. À l'heure où les institutions judiciaires doivent restaurer la confiance des citoyens, en particulier dans les territoires d'outre-mer souvent confrontés à des inégalités structurelles, la persistance d'un tel déséquilibre matériel dans les enceintes judiciaires participe d'un sentiment d'injustice ordinaire, institutionnalisée, qui mine la légitimité de la parole publique et de l'État de droit. Aussi, il lui demande quelles mesures il entend prendre afin de reconnaître officiellement le caractère problématique de l'organisation actuelle des salles d'audience pénales de Guadeloupe ; mais aussi afin de diligenter un audit complet et transparent de l'ensemble des juridictions concernées, en lien avec les représentants du Barreau local et les chefs de juridiction et, enfin, pour mettre en œuvre une mise en conformité rapide, matérielle et symbolique, avec les exigences du procès équitable, de l'impartialité apparente du tribunal et de l'égalité des armes. M. le député souhaite également savoir si une circulaire générale ou une instruction nouvelle est envisagée pour garantir, sur l'ensemble du territoire national, y compris ultramarin, une uniformisation des critères d'organisation des salles d'audience pénales, conforme aux engagements internationaux de la France.

Données clés

Auteur : M. Christian Baptiste

Type de question : Question écrite

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date :
Question publiée le 22 juillet 2025

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