Atteinte au secret médical
Question de :
M. Laurent Panifous
Ariège (2e circonscription) - Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires
M. Laurent Panifous interroge M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins, sur la parution du décret n° 2024-968 du 30 octobre 2024 qui vise à « renforcer la pertinence des prescriptions médicales » et qui conditionne désormais le remboursement de certains médicaments à la justification de leur prescription par le médecin. Cette mesure est perçue, à juste titre, par l'ensemble du corps médical comme une atteinte grave au secret médical uniquement motivée par une logique comptable, au détriment de la qualité des soins. De nombreux professionnels voient dans cette mesure une nouvelle preuve de la méconnaissance des autorités quant aux conditions réelles d'exercice de la médecine et dénoncent l'intention de l'État de renforcer le contrôle des prescriptions médicales par une démarche administrative supplémentaire. En effet, sous couvert d'améliorer la pertinence des soins, ce décret semble ignorer les difficultés quotidiennes auxquelles font face les praticiens. Dans un contexte de pénurie médicale, où sept millions de Français n'ont pas de médecin traitant, l'ajout de nouvelles contraintes administratives apparaît comme une aberration. Il est à craindre par ailleurs que ce dispositif de « surveillance préalable » transfère la responsabilité financière des remboursements de l'assurance maladie aux médecins eux-mêmes, avec un risque d'indus en cas de prescriptions jugées non conformes. De nombreux praticiens craignent également une standardisation excessive des pratiques au détriment de la personnalisation des traitements. Enfin, M. le député s'étonne que ce décret reprenne une disposition de l'article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, largement rejetée par la commission des affaires sociales, mais imposée par le Gouvernement avec effet au 1er novembre 2024. Dans ces conditions, il lui demande de bien vouloir lui faire savoir ce qu'il entend faire pour répondre favorablement à la demande légitime de l'ensemble d'une profession qui demande l'annulation de ce décret.
Réponse en séance, et publiée le 22 janvier 2025
LIBERTÉ DE PRESCRIPTION DU MÉDECIN
M. le président . La parole est à M. Laurent Panifous, pour exposer sa question, no 88, relative à la liberté de prescription du médecin.
M. Laurent Panifous . L'exercice de la médecine est éminemment complexe. Il exige des connaissances scientifiques parfaitement objectives, vérifiables et reproductibles. Mais ces connaissances ne sont pas suffisantes pour parvenir au bon diagnostic, au bon traitement du patient.
L'individualisation de la prise en charge dépend d'informations qu'échangent le médecin et son patient, du contexte ; et la confidentialité de ces informations est une condition essentielle à la relation de confiance qui les unit, elle est indispensable pour que le patient puisse se livrer complètement et permettre au médecin de lui proposer le traitement le plus approprié.
Le secret médical couvre toutes les informations que le professionnel de santé possède sur une personne. Ce secret est reconnu comme indissociable de l'exercice de la médecine depuis des siècles.
Il est une autre constante : la confiance que nous accordons depuis toujours aux médecins dans leurs choix, leurs diagnostics, les traitements qu'ils prescrivent. Bien sûr, des contrôles sont possibles par leurs pairs ; ces contrôles existent et ne sont pas remis en question.
Depuis le 30 octobre dernier, le décret n° 2024-968 relatif au document destiné à renforcer la pertinence des prescriptions médicales conditionne toutefois le remboursement de certains médicaments à la justification de leur prescription par le médecin. Autrement dit, le médecin doit dorénavant dévoiler, sur la prescription ou sur un document joint, dans certains cas, la pathologie dont souffre le patient.
Cette mesure, monsieur le ministre, est perçue par le corps médical comme une atteinte grave au secret médical, d'autant qu'elle ne semble motivée que par une logique comptable et constitue une démonstration de la méconnaissance, par les autorités, des conditions réelles d'exercice de la médecine. Le corps médical dénonce également l’intention de l'État de renforcer le contrôle des prescriptions médicales par une démarche administrative supplémentaire, alors même qu'on cherche à les réduire drastiquement.
On peut exprimer plusieurs craintes : d'abord, que ce dispositif de « surveillance préalable » transfère la responsabilité financière des remboursements de l’assurance maladie aux médecins eux-mêmes, avec un risque d’indus en cas de prescriptions jugées non conformes ; ensuite, qu'il favorise une standardisation excessive des pratiques au détriment de la personnalisation des traitements.
Enfin, je m'étonne que ce décret reprenne une disposition de l'article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 largement rejetée par la commission des affaires sociales.
Force est donc de constater que les dispositions de ce décret comme les conditions de sa parution soulèvent un mécontentement qu'on ne peut ignorer.
Ma question est simple : le gouvernement va-t-il prendre en considération la demande légitime des médecins et des patients ? Allez-vous restaurer le secret médical, mais aussi la confiance envers le prescripteur, en annulant ce décret ?
M. le président . La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins . Votre question me permet de faire à nouveau le point sur l'action du gouvernement, en particulier celle du ministère de la santé. Je ne rappellerai pas que je suis médecin et que j'ai exercé jusqu'au mois de décembre. Comment envisager une minute que le ministère de la santé remette en cause le lien de confiance entre un patient et un praticien, quel qu'il soit, ou ne préserve pas le secret médical ? Ne propageons pas de fausses informations !
Ensuite, ne mélangeons pas efficience des soins, mésusage du médicament et lourdeur administrative. Il est hors de question de rendre plus compliqué l'exercice des professionnels de santé par une suradministration, une surinformatisation. Nous sommes donc d'accord. J'ai annoncé tout à l'heure le dépôt d'un projet de loi de simplification avant l'été : si vous avez des propositions, je vous invite vraiment à me les communiquer afin que nous travaillions ensemble.
En revanche, il semble qu'il y ait confusion sur l'objet du décret que vous mentionnez. Celui-ci ne saurait anticiper le contenu d'un PLFSS qui n'est pas encore voté ; il se réfère en réalité à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, et ne traite pas tout à fait du même sujet, puisqu'il y est question du mésusage de certains produits. Voici un exemple concret : certains traitements antidiabétiques, comme les analogues du GLP-1 – le glucagon-like peptide –, ont montré leur efficacité mais sont parfois mal utilisés quand ils sont prescrits – à la demande du patient ou à l'initiative du médecin – pour lutter contre l'obésité, sachant qu'ils font perdre du poids.
Quand il est demandé que le diagnostic soit précisé, c'est le médecin qui l'indique au patient – il n'y a donc pas rupture du secret professionnel. Je rappelle en outre que les pharmaciens qui vont lire une ordonnance sont eux-mêmes soumis au secret médical. Il s'agit donc d'éviter une mauvaise utilisation de la prescription. Les professionnels de santé ont des référentiels de qualité à appliquer afin de ne pas prescrire le mauvais médicament au mauvais patient, ce qui arrive beaucoup avec les antibiotiques. Il n'est donc en aucun cas question, je le redis, de restreindre la confiance entre le médecin et son patient.
Auteur : M. Laurent Panifous
Type de question : Question orale
Rubrique : Médecine
Ministère interrogé : Santé et accès aux soins
Ministère répondant : Santé et accès aux soins
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 janvier 2025