Question écrite n° 9129 :
Absence de conditions de paiement claires pour les interprètes judiciaires

17e Législature

Question de : M. Philippe Bolo
Maine-et-Loire (7e circonscription) - Les Démocrates

M. Philippe Bolo alerte M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation préoccupante des traducteurs et interprètes judiciaires, collaborateurs essentiels du service public, qui continuent de travailler sans cadre légal clair en matière de rémunération. Ces professionnels interviennent quotidiennement auprès des tribunaux et des forces de l'ordre, mais sont soumis à un système de rémunération reposant sur le dépôt d'un « mémoire de frais » qui, contrairement à une facture émise dans le cadre d'une relation contractuelle classique, n'a pas de valeur juridique contraignante. En effet, un mémoire de frais n'établit pas de créance exigible, ne permet pas de bénéficier des garanties du droit commercial (comme les pénalités de retard ou le recouvrement par voie judiciaire rapide) et ne constitue pas une preuve opposable de l'exécution d'un service dans les mêmes conditions qu'un contrat de droit privé. Cette absence de reconnaissance légale place les traducteurs et interprètes judiciaires dans une zone grise juridique, où leur travail, pourtant accompli à la demande et pour le compte de l'État, ne donne lieu à aucune obligation ferme de paiement dans des délais raisonnables. Cette situation les expose à une précarité économique persistante. À cela s'ajoute un paradoxe juridique : bien que la directive européenne 2011/7/UE impose aux États membres de garantir des conditions de paiement claires, équitables et proportionnées, la France, en les transposant de manière restrictive, a exclu ces collaborateurs occasionnels du service public (COSP) du champ d'application des dispositions protectrices. Par ailleurs, l'introduction en 2021 d'un délai de forclusion d'un an pour déposer les mémoires de frais a aggravé leur précarité : passé ce délai, les professionnels perdent tout simplement leur droit à rémunération, alors que l'État peut, de son côté, effectuer les paiements bien au-delà de N+1, sans encourir de sanction. Cette problématique, ancienne et largement documentée, a déjà fait l'objet de nombreuses questions écrites, restées sans réponse satisfaisante. Les rares éléments apportés se limitent le plus souvent à des considérations techniques, comme l'utilisation de la plateforme Chorus Pro, sans jamais traiter le fond du problème : l'absence d'un cadre juridique clair et d'une véritable reconnaissance contractuelle de ces professionnels. Les difficultés perdurent, comme en témoignent les alertes régulières adressées aux élus par des traducteurs et interprètes judiciaires, concernés dans toutes les régions de France. Face à cette impasse juridique et humaine, il lui demande quelles mesures concrètes il entend prendre pour garantir aux traducteurs et interprètes judiciaires des conditions de paiement claires, équitables et protectrices, conformément au droit européen et dans le respect du principe d'égalité devant les charges publiques.

Réponse publiée le 2 décembre 2025

Le ministère de la Justice demeure pleinement mobilisé pour assurer aux traducteurs et interprètes judiciaires, collaborateurs occasionnels du service public (COSP), dont l'intervention est indispensable au bon fonctionnement de l'institution judiciaire, des conditions d'exercice respectueuses de leur rôle et de leur engagement au service de la justice. Les traducteurs et interprètes judiciaires exercent une mission essentielle au service des juridictions et des forces de l'ordre, en assurant l'accès au droit et à la justice pour les personnes ne maîtrisant pas la langue française. Leur concours est requis dans des délais souvent contraints et dans des situations particulièrement sensibles, notamment en matière pénale, de droit des étrangers ou de contentieux familial. Leur rémunération relève du régime des frais de justice, régi par les dispositions du code de procédure pénale, notamment les articles R.122 et A43-7 du CPP, et s'effectue sur la base d'un mémoire de frais, établi après service fait. Ce mécanisme, qui s'applique à l'ensemble des collaborateurs occasionnels du service public (COSP), repose sur le principe de la réquisition ponctuelle, en dehors d'un contrat de droit privé. Ce régime juridique, qui ne confère pas aux mémoires de frais la valeur d'une créance immédiatement exigible, peut effectivement générer des incertitudes en matière de délais de paiement. Conscient de ces difficultés, le ministère de la Justice a entrepris, ces dernières années, plusieurs démarches pour améliorer la fluidité et la transparence du circuit de paiement : – La généralisation de la plateforme Chorus Pro pour le dépôt dématérialisé des mémoires ; – La mise en place de cellules d'appui locales, chargées d'accompagner les professionnels dans leurs démarches ; – Un soutien budgétaire croissant au cours des dernières années, puisque les frais relatifs à l'interprétariat et la traduction sont passés de 57 M€ pour 2020 à 85 M€ en 2024 ; – Et la publication régulière de circulaires et de guides pratiques, visant à sécuriser les procédures. S'agissant de la transposition de la directive 2011/7/UE relative à la lutte contre les retards de paiement, il convient de rappeler que celle-ci vise les relations contractuelles entre entreprises et autorités publiques. Or, les collaborateurs occasionnels du service public, par nature réquisitionnés, ne relèvent pas de ce champ contractuel au sens du droit commercial européen. Cette interprétation, retenue par la France, est conforme à celle adoptée par plusieurs États membres pour des fonctions analogues.

Données clés

Auteur : M. Philippe Bolo

Type de question : Question écrite

Rubrique : Professions judiciaires et juridiques

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 29 juillet 2025
Réponse publiée le 2 décembre 2025

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