Question écrite n° 5815 :
Abandon progressif de la mission de protection de l'enfance par l'État

17e Législature

Question de : Mme Géraldine Grangier
Doubs (4e circonscription) - Rassemblement National

Mme Géraldine Grangier interroge M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation sur l'abandon progressif de la mission régalienne de protection de l'enfance par l'État et les conséquences dramatiques qui en résultent pour les jeunes les plus vulnérables. La situation est particulièrement alarmante dans le Doubs, où le Conseil départemental a annoncé une baisse massive des subventions destinées à la prévention spécialisée, entraînant la suppression d'un tiers des postes d'éducateurs de rue. Ce choix budgétaire aura des conséquences irrémédiables sur l'accompagnement des jeunes issus des quartiers prioritaires et sur la prévention de la délinquance. L'État a délégué la protection de l'enfance aux départements par le biais de la décentralisation, mais force est de constater qu'il se désengage progressivement de cette mission essentielle, notamment en réduisant sa contribution exceptionnelle à la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA). Ces derniers représentent aujourd'hui près de 20 % des enfants placés en France, déséquilibrant les budgets départementaux déjà sous tension. Cette situation, couplée à la précarité grandissante et à l'augmentation des violences intra-familiales, place les services d'aide à l'enfance dans un état de saturation dramatique. En 2022, la protection de l'enfance concernait 381 000 mesures d'aide sociale à l'enfance, avec 208 000 mineurs et jeunes majeurs accueillis par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Parmi eux, 31 000 jeunes majeurs bénéficiaient d'un accompagnement. Pourtant, les moyens humains et financiers ne suivent pas. Dans le Doubs, 155 mineurs restent en attente d'un accompagnement et 38 mesures de placement n'ont pu être mises en œuvre faute de moyens. Cette situation a pour effet direct que des enfants en danger demeurent dans leur milieu familial, sans la protection qu'ils devraient recevoir. Face à cette réalité, de nombreux professionnels alertent sur des pratiques inacceptables, telles que le placement en urgence de mineurs dans des hôtels, sans suivi éducatif ni psychologique, une pratique pourtant interdite par la loi Taquet du 7 février 2022. En outre, l'accompagnement des jeunes les plus en difficulté est rendu impossible par la baisse des effectifs d'éducateurs de rue. Ces professionnels jouent pourtant un rôle crucial en établissant un lien de confiance avec les jeunes et leurs familles, leur permettant d'accéder aux dispositifs du droit commun, d'éviter le décrochage scolaire, d'accéder à la formation et à l'insertion professionnelle, ainsi qu'à un suivi sanitaire et social adapté. Cette crise de la protection de l'enfance n'est pas une fatalité. Certains pays européens, à l'instar de l'Allemagne ou des Pays-Bas, ont mis en place des systèmes bien plus performants et adaptés aux besoins des jeunes en difficulté. En Allemagne, par exemple, le système de prise en charge repose sur une implication forte des municipalités et un financement de l'État garantissant une prise en charge rapide et efficiente. Aux Pays-Bas, les politiques de prévention sont fortement renforcées, avec des dispositifs d'accompagnement dès le plus jeune âge, réduisant ainsi le besoin de placements tardifs et souvent traumatisants. Elle appelle donc à un électrochoc politique et propose un véritable plan Marshall pour la protection de l'enfance, avec plusieurs mesures indispensables : une augmentation significative des fonds alloués aux départements pour la création de places en structures d'accueil ; une revalorisation des conditions de travail des professionnels de la protection de l'enfance pour faciliter leur recrutement et leur formation ; une meilleure coordination entre les acteurs impliqués (ASE, éducation nationale, services judiciaires, secteur associatif) ; un renforcement du rôle de l'État dans le pilotage et le contrôle des dispositifs de protection de l'enfance ; un investissement massif dans les politiques de prévention spécialisée afin de réduire les risques de délinquance et de marginalisation ; une application stricte du fichier d'évaluation des MNA (AEM : appui à l'évaluation de la minorité) afin d'éviter les fraudes et de garantir une prise en charge équitable. Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il mettre en place pour garantir une protection effective des enfants les plus vulnérables, en particulier dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires où les besoins sont les plus pressants ? Quels moyens l'État entend-il allouer pour soutenir les départements, afin d'éviter que des décisions budgétaires ne viennent détruire des dispositifs de prévention pourtant essentiels ? Elle souhaite connaître sa position sur ce sujet.

Réponse publiée le 17 juin 2025

Dans un contexte de situation préoccupante du système de protection de l'enfance et des enfants en situation de danger en attente d'un accueil et d'un accompagnement, le Gouvernement sait la nécessité d'une attention renforcée à la protection de l'enfance par les départements et les services de l'État. La refondation de la politique nationale de la protection de l'enfance constitue une des priorités du ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles qui porte aujourd'hui un plan ambitieux de refondation de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), fondé sur les besoins réels des enfants et élaboré en concertation avec les professionnels du secteur et les acteurs du terrain. Ce plan s'appuie pleinement sur les recommandations formulées par la commission d'enquête parlementaire sur les manquements de la politique publique de protection de l'enfance, et s'articule autour de sept priorités : - prévenir et éviter le placement chaque fois que possible, en renforçant la prévention dès la périnatalité grâce à des dispositifs de détection et d'accompagnement précoces, en suivant un plan de soutien à la parentalité ciblé sur les situations de vulnérabilité sociale et familiale et en poursuivant la contractualisation à la prévention entre l'Etat et les départements ; - permettre de grandir dans un cadre familial et stable, en facilitant l'adoption des enfants sans possibilité de maintien de liens familiaux, en faisant évoluer le cadre des pouponnières et en y limitant la durée de placement, en renforçant les capacités d'accueil à caractère familial, notamment d'assistants familiaux, et en ayant recours plus largement aux tiers de confiance et à l'accueil durable et bénévole. L'amélioration des conditions de prise en charge passe en effet par une transition du modèle ; vers un accueil plus familialisé - garantir la santé des enfants, en généralisant des parcours de soins coordonnés des enfants protégés pour un accompagnement global de la santé et en soutenant la création de centres d'appui à l'enfance, ainsi que de 25 nouvelles unités d'accueil pédiatriques enfants en danger en 2025 ; - permettre aux enfants en double vulnérabilité de grandir dans un endroit adapté à leurs besoins en mobilisant le plan « 50 000 solutions » et en développant l'accueil familial thérapeutique - ouvrir le champ des possibles par l'éducation, et en mobilisant les entreprises pour mener à bien des actions concrètes : stages, mentorat, présentations de métiers, accès à la culture… ; - préparer à l'âge adulte pour réussir son insertion et ses projets, en facilitant l'accès aux études supérieures, à la formation et à l'emploi, en accompagnant l'accès au logement et à l'autonomie, en redéfinissant les conditions d'allocation du pécule et en travaillant avec les départements à une meilleure prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) ; - refonder la gouvernance de la protection de l'enfance en installant les instances nécessaires et en renforçant la présence de l'Etat au niveau local, afin de garantir l'égalité et la qualité de prise en charge sur tout le territoire. La prévention des abus dans les établissements d'accueil d'enfants pris en charge par l'ASE est évidemment une priorité. La généralisation de l'attestation d'honorabilité pour les professionnels et intervenants constitue une autre mesure essentielle : elle vise à garantir la moralité des personnes en contact avec les enfants, à prévenir les risques de maltraitance et à renforcer la confiance des familles et des partenaires dans les dispositifs d'accueil et d'accompagnement. Ce dispositif se déploie progressivement depuis le 1er septembre 2024. Aujourd'hui, 29 départements sont couverts, ce qui a permis fin avril 2025 de contrôler 160 000 personnes. La généralisation à l'ensemble du territoire interviendra au 1er octobre 2025. Pour mettre en œuvre ce plan de refondation sur le terrain, en collaboration étroite avec les conseils départementaux, les services de l'État s'appuieront notamment sur le cadre renouvelé de la contractualisation avec les départements, axé sur la prévention et la protection de l'enfance. Ce cadre pluriannuel permettra de structurer des actions dans la durée, en mobilisant plusieurs leviers financiers : - des crédits du fonds d'intervention régional pour renforcer la prévention dès la périnatalité, notamment durant les mille premiers jours de l'enfant ; - 50 millions d'euros de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie médico-social pour développer, en lien avec les agences régionales de santé, des solutions adaptées aux enfants à double vulnérabilité et soutenir les professionnels de l'ASE ; - 117 M€ de crédits du programme 304 pour encourager les interventions à domicile et les formes d'accueil à dimension familiale, au cœur de la contractualisation 2025-2027. Concernant les placements à l'hôtel de mineurs et de jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, cette pratique inacceptable a été interdite par la loi du 7 février 2022 dite « loi Taquet ». Un travail de suivi et d'accompagnement est mené avec les départements, afin de développer des solutions d'accueil dignes et adaptées aux besoins des enfants et des jeunes concernés. S'agissant plus spécifiquement des mineurs non accompagnés, le Gouvernement veille à l'application rigoureuse du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, généralisé par la loi du 7 février 2022, dite « loi Taquet ». À ce jour, l'ensemble des départements est entré dans une démarche de contractualisation avec les préfectures et utilise ce dispositif. Par ailleurs, les dispositifs de contribution exceptionnelle pour l'évaluation et la mise à l'abri des MNA ont atteint 94 M€ en 2024. Enfin, il est nécessaire de rappeler le rôle fondamental des éducateurs de rue et des dispositifs de prévention spécialisée. Leur présence sur le terrain est un pilier de la cohésion sociale et de la lutte contre la marginalisation.

Données clés

Auteur : Mme Géraldine Grangier

Type de question : Question écrite

Rubrique : Politique sociale

Ministère interrogé : Aménagement du territoire et décentralisation

Ministère répondant : Travail, santé, solidarités et familles

Dates :
Question publiée le 8 avril 2025
Réponse publiée le 17 juin 2025

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